Le pilotage pour relier et réussir

1.2  Piloter selon un modèle systémique

Lorsque nous abordons l’école sous l’angle de sa dynamique d’organisation, nous lui reconnaissons deux dimensions majeures : les décisions et les actions (Maggi, 2003) qui se conjuguent ensemble pour produire, autant que possible, des résultats proches des intentions initiales. Si les actions sont le cœur des opérations de l’établissement, les prises de décision sont au cœur de son pilotage : veiller à ce que les actrices et les acteurs fassent les bons choix :

Le modèle de pilotage d’un établissement proposé, vu comme un système, comporte six sous-systèmes où la prise de décision est au premier plan. Concomitants à ce sous-système central, nous rencontrons ceux de finalisation, de communication organisationnelle, d’évaluation organisationnelle, d’intelligence organisationnelle et de veille. Chacun de ces six sous-systèmes intervient dans les processus de Planification, Organisation, Direction, Contrôle (PODC) soit dans  la gestion de l’enseignement, des personnes et des groupes (ressources humaines), du soutien au parcours scolaire et des ressources matérielles et financières afin que leurs opérations se lient les unes aux autres pour optimiser les résultats. Ainsi, nous illustrons que chacun des six sous-systèmes de pilotage agit sur la gestion des opérations pour les articuler les unes avec les autres au regard des résultats recherchés.

 

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Les processus de pilotage de l’établissement

Brièvement, nous présentons ces sous-systèmes au regard des processus que les actrices et acteurs activent dans chacun d’eux.

Les sous-systèmes de pilotage de l’établissement

Le recours au macroscope pour l’action

Pour illustrer cette approche systémique des interactions entre les composantes d’une organisation humaine complexe, tel un établissement d’enseignement, nous empruntons la métaphore du « macroscope » proposé par (Joël De Rosnay, 1975). Il la présente en tant qu’instrument qui, contrairement au microscope qui observe la réalité en la décomposant, permet d’appréhender cette réalité dans sa globalité et sa complexité[1] pour y agir de façon pertinente en activant les interactions entre ses composantes. 


[1] Du latin complexus «fait d’éléments imbriqués»; cum, co et plectare «plier, entrelacer», selon le dictionnaire historique de la langue française (Rey, 1992).

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Servons-nous donc du macroscope pour porter un regard neuf sur la nature, la société et l’homme. Et pour tenter de dégager de nouvelles règles d’éducation et d’action. Dans son champ de vision, les organisations, les évènements, les évolutions s’éclairent d’une lumière toute différente. Le macroscope filtre les détails, amplifie ce qui relie, fait ressortir ce qui rapproche. Il ne sert pas à voir plus gros ou plus loin. Mais à observer ce qui est à la fois[1] trop grand, trop lent et trop complexe pour nos yeux (comme la société humaine, cet organisme gigantesque qui nous est totalement invisible). Jadis, pour tenter de percer les mystères de la complexité, on recherchait les unités les plus simples qui permettaient de l’expliquer : la molécule, l’atome, les particules élémentaires. Mais aujourd’hui, par rapport à la société, c’est nous qui sommes ces particules. Cette fois, notre regard doit se porter sur les systèmes qui nous englobent, pour mieux les comprendre avant qu’ils nous détruisent. Les rôles sont inversés : ce n’est plus le biologiste qui observe au microscope une cellule vivante; c’est la cellule elle-même qui regarde au macroscope l’organisme qui l’abrite…

C’est cette nouvelle approche (systémique) que symbolise le macroscope. Elle s’appuie sur une approche globale des problèmes ou des systèmes que l’on étudie et se concentre sur le jeu des interactions entre leurs éléments. (De Rosnay, 1975, p. 10 et 11)


[1] Souligné par l’auteur.

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Une approche systémique des résultats

Nous avons vu que le pilotage se rapporte à des interventions visant à optimiser les résultats de l’établissement. La préoccupation ultime d’un pilote n’est-elle pas que les passagers et l’équipage se rendent à bon port? Les résultats d’apprentissage et d’éducation des élèves sont certes la cible ultime de l’établissement. Toutefois, cette seule cible demeure insuffisante pour un déploiement optimal des opérations menées par tous ses actrices et acteurs (individus, groupes, instances). Le pilotage de l’établissement commande d’aborder la question de ses résultats de façon à traduire la réalité complexe dans laquelle ceux-ci se produisent et ainsi fournir des repères permettant d’y intervenir avec efficacité. Dans notre approche systémique, nous concevons non pas un résultat unique, mais plutôt une configuration de résultats qui, en interaction dynamique, concourent ensemble à atteindre les niveaux d’apprentissage recherchés chez les élèves.

Pour tenir compte de la réalité complexe produisant les résultats scolaires, et afin d’agir sur elle avec le plus de pertinence possible, il est utile, pour ne pas dire essentiel, de saisir l’enchaînement des différentes visées et des résultats à atteindre :

  • Les résultats d’apprentissage des élèves ne seront atteints que si ceux-ci arborent les attitudes et les comportements menant à ces résultats.
  • Ces attitudes, comportements et ces résultats d’élèves ne pourront être atteints que si les enseignantes et enseignants et autres actrices et acteurs mènent des processus d’actions appropriés et ciblés.
  • Ces processus d’actions seront menés de façon appropriée que si les enseignantes, enseignants et autres acteurs apprennent comment le faire et développent des outils organisationnels pour ce faire.
La déclinaison des résultats à atteindre dans un tel enchaînement – interactions- où les liens entre eux sont démontrés est de nature à interpeller l’ensemble des actrices et acteurs de l’établissement. Un pilotage efficace mettra à jour chacun des maillons de la chaîne de résultats, fera apparaître les liens entre eux et traitera chacun d’eux comme une partie d’un tout à orchestrer. Rappelons que la force d’une chaîne est égale à la force de son maillon le plus faible. On aura beau insister sur l’atteinte des résultats d’apprentissage des élèves, si ces derniers ne répondent pas aux visées recherchées en termes d’attitudes et de comportements (motivation, pratiques de lecture…), si des processus d’actions ne sont pas au rendez-vous pour créer les conditions nécessaires (pratique d’enseignement, interventions auprès d’élèves…) et si les membres du personnel ne visent pas à rencontrer des cibles d’apprentissage et de développement organisationnels déterminantes pour ces processus d’actions (maîtrise d’une approche particulière, dispositif de soutien professionnel…), les résultats produits, rappelons-le, par les élèves ne seront pas au rendez-vous.
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Les processus de pilotage de l’établissement en fonction des résultats ciblés

À une époque où les systèmes d’éducation nationaux optent pour une gestion par résultats, souvent couplée avec des contractualisations en fonction de résultats produits par les élèves, soit leurs apprentissages, un tel modèle systémique et « macroscopique » des résultats nous apparaît des plus pertinents au pilotage des établissements à exercer. Dans ce modèle, les apprentissages réalisés et témoignés par les élèves sont le dernier maillon d’un enchaînement complexe de résultats produits par l’ensemble des actrices et des acteurs du système éducatif. Le pilotage concerne des interventions relatives à chacun de ces maillons de résultats sachant que chacun d’eux mène, de façon ultime, aux résultats d’apprentissage et d’éducation des élèves.

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Piloter avec pertinence

Cette proposition d’un modèle de pilotage est, comme toute représentation de système, une construction de l’esprit qui vise à fournir des repères conceptuels pour aider à piloter l’établissement. À ce titre, pour soutenir leurs actions, il nous apparaît pertinent que les pilotes se donnent une représentation de la réalité complexe dans laquelle ils oeuvrent et des interactions qui la constituent afin d’y intervenir avec le plus de pertinence possible.

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Une direction en double piste de l’établissement

Évoquer, comme nous l’avons fait précédemment, à la fois la gestion des opérations et le pilotage comme fondements d’une pratique de direction, c’est reconnaître que cette pratique a une double nature et se réalise en double piste.

Continuons dans les métaphores de l’optique pour illustrer cette double nature ou double piste et recourons aux images d’instruments de vision monoculaire et binoculaire. Une direction uniquement préoccupée de la gestion des opérations est fondée sur une vision que nous pourrions qualifier de monoculaire. Les objets du champ de vision sont perçus sans perspective entre eux. Dans une telle vision simplificatrice, tous les objets à gérer apparaissent être sur un même plan, celui  des opérations à mener les unes à la suite des autres dans un fonctionnement d’actions-réactions et de commandes-exécutions. Une direction préoccupée à la fois des opérations et du pilotage est fondée sur une vision que nous pourrions qualifier de binoculaire, en double piste d’intervention : celle de la gestion des opérations et celle du pilotage. Dans une telle vision, les objets sont perçus selon leur situation les uns par rapport aux autres et, d’un seul coup d’œil, ils sont mis en perspective d'une destination. Dans cette vision complexe où la gestion des opérations et leur pilotage se croisent, les objets apparaissent liés les uns aux autres sur plusieurs plans selon des intentions plus ou moins convergentes (résultats projetés) et au service de résultats obtenus avec plus ou moins d’efficacité.