Des instruments et un dispositif de veille

7.6  Concevoir une carte stratégique

 

À la suite des travaux de Kaplan et Norton (1998, 2001), nous proposons d’établir la veille stratégique dans un établissement à partir de la conception d’une carte stratégique. Dans une telle carte, en fonction de la mission et de l’objectif général de l’établissement, ses objectifs sont rapportés selon cinq axes stratégiques de développement : résultats des élèves, comportements et attitudes des élèves et autres parties prenantes, processus d’action à mettre en place, apprentissages et développement organisationnels à rechercher, ressources à mobiliser. Des liens de complémentarité entre ces objectifs sont illustrés afin de faire apparaître les cohérences entre ceux-ci, la mission et l’objectif général.

  • L’axe résultats, comportant les objectifs de résultat recherchés pour les élèves, est immédiatement placé sous la mission et sous l’objectif général, car ces résultats en sont les manifestations concrètes visées.
  • Les leviers projetés pour atteindre ces résultats, soit les objectifs des autres axes sont rapportés par la suite.

Ce qui est recherché par cette carte, c’est, d’une part, l’identification des composantes stratégiques de chacun des axes et les liens entre ces composantes et, d’autre part, de permettre une lecture rapide et synthétique de la stratégie de l’établissement.

Telle qu’illustrer dans la figure suivante - les flèches verticales - la création d’une carte stratégie permet, en partant des résultats recherchés pour les élèves, de conscientiser les leviers stratégiques à activer pour que l’établissement s’organise – s’auto-organise- pour progresser vers ces résultats. Ainsi, pourront être décidés des objectifs :

  • pour le parties prenantes, surtout les élèves, mais aussi possiblement les parents et des membres de la communauté qui auraient à développer des comportements et des attitudes ciblées faisant en sorte que les élèves progresseront vers les résultats recherchés;
  • de processus d’action à activer par des membres du personnel de l’école, principalement les enseignantes et les enseignants, mais aussi les autres membres faisant en sorte que les élèves progresseront vers les résultats recherchés et que les parties prenantes (élèves, parents, communauté) développeront les comportements et les attitudes estimés requis pour cette progression;
  • Des apprentissages professionnels et organisationnels ainsi que des développements organisationnels à susciter faisant en sorte que les processus d’action ciblés seront activés de façon efficace ;
  • Des ressources financières, matérielles, temporelles et humaines à réserver pour soutenir les processus d’action, les apprentissages et développement ciblés.

De plus, la création de la carte permet aussi de conscientiser les objectifs qui servent pour plus d’un résultat d’élèves –flèches bidirectionnelles.   

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Nous vous présentons un exemple de carte stratégique. Il est à noter que cet exemple ne se réfère à aucune situation particulière. Il n’est donc pas situé en fonction d’un établissement en particulier et, à ce titre, il n’est pas réaliste. Sa seule finalité est d’illustrer ce que pourrait être une carte stratégique et de fournir des exemples de libellés d’éléments dans chacun des cinq axes stratégiques. Les concepteurs pour un établissement donné auront à trouver la présentation et les libellés les plus pertinents à l’auto-organisation présente et au pilotage à exercer.

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NB Les différents signes rouges illustrent des liens entre les objectifs.

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Nous insistons sur le fait qu’une telle conception de carte, en illustrant dans chacun des axes les liens entre les objectifs fait apparaître la cohérence entre eux et à ce titre, offre une lecture systémique des objectifs à poursuivre. À l’heure de la gestion par résultats, une emphase est de plus en plus portée sur le « monitorage » des résultats des élèves. Toutefois, une attention portée seulement sur ces résultats demeure aveugle des développements organisationnels à opérer pour assurer une progression continue vers ces résultats. Peut-on penser que le seul « monitorage » sur des écrans des signes vitaux d’un patient venant de subir une intervention chirurgicale à haut risque permet de réguler l’ensemble des gestes de soin qui doivent être posés ?  Pour contrer une telle approche stratégique à courte vue, Kaplan et Norton proposent une approche systémique et des outils de la stratégie qui au-delà des dispositifs de mesure des résultats constituent « l’ossature des processus de management » (1998, p.31). La carte stratégique dans le pilotage des établissements scolaires est non seulement un outil d’aide à la décision, elle est aussi un outil de mobilisation permettant de mettre en lumière auprès des actrices et des acteurs les liens entre les objectifs et de susciter la construction d’un sens collectif envers ceux-ci.

Leur approche de la stratégie permet de combler « le vide dont pâtissent la plupart des systèmes de management, qui n’offrent pas de procédure systématique pour suivre la mise en œuvre des stratégies. Les processus de management articulés autour de ce système permettent à l’entreprise de rendre cohérente et de piloter la mise en œuvre de la stratégie à long terme.» (Kaplan, Norton, 1998, p. 31) 

Dans un contexte de pilotage où l’établissement doit répondre à une diversité d’injonctions pas toujours cohérentes entre elles (commandes diverses : projet éducatif, plans divers, convention…), une carte stratégique offre la possibilité de recadrer ces injonctions en fonction du développement de l’établissement et de ses propres voies de progrès. Une succession de mesures à introduire sans liens organisationnels significatifs entre elles –  qui, rappelons-le, se rapportent d’une façon ou d’une autre aux efforts de l’école envers les apprentissages des élèves – n’est-elle pas la hantise des directions?

Des stratégies en cascade

La carte stratégique présentée dans notre exemple se rapporte au pilotage des opérations de tout l’établissement. Le défi dans la mise en œuvre d’une stratégie dans un établissement est de mobiliser l’ensemble de ses parties : équipe de direction, cycles, départements, classes, services… Si elle est essentielle, une carte stratégique générale ne peut, en soi, générer une forte mobilisation de toutes ces entités, et ce, même si elle est issue d’une démarche collective comme Kaplan et Norton (2001) le recommandent. Pour que les membres d’une entité se mobilisent à œuvrer à la réalisation de la stratégie générale de l’établissement, ils doivent non seulement participer à son élaboration, mais aussi se l’approprier afin de l’adapter à leurs opérations spécifiques et d’y accoler une signification collective propre à leur groupe. Cela est d’autant plus vrai dans une grande école où plusieurs entités se démarquent fortement les unes des autres : départements, cycles, programmes… Une carte stratégique saisie en un « seul coup d’œil » est un instrument qui facilite une telle appropriation, et ce, à un faible coût en temps et en investissement personnel.

Il peut être proposé aux différentes entités de l’école de reprendre la carte stratégique de l’établissement afin d’élaborer leur propre stratégie de groupe en fonction de la stratégie générale avancée. Ainsi, ces entités pourraient réviser chacun des objectifs de chaque axe afin de retenir ceux qui les concernent directement et, s’il y a lieu, de les reformuler ou d’en ajouter. Pour une direction -individu ou équipe- , nous pourrions penser que celle-ci est la première à opérer cette adaptation en ce qui concerne ses propres objectifs stratégiques d’intervention dans l’établissement. Par la suite, leur carte stratégique de direction pourrait servir de modèle pour illustrer l’opération auprès des entités qui composent l’établissement. N’est-il pas reconnu que le modelage pratiqué par les directions renforce son leadership transformationnel (Blase, Kirby, 2010)? La première équipe stratégique d’une école où ses membres mènent des actions en cohérence avec des objectifs communs n’est-elle pas celle de la direction? 
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