L’orchestration du processus de décision
4.5 Recourir à la controverse pour éclairer la décision
Se tromper est une constance fondamentale de l’action Christian Morel |
Lorsqu’il y a décision, c’est donc qu’il y a un choix à arrêter entre différentes options. Un choix, dans son essence même, est indéterminé au regard des résultats et des conséquences qui seront générés à la suite de la mise en application de l’option retenue. Pour faire leur choix, les actrices et les acteurs (directions, enseignantes et enseignants, élèves…) recourent à une rationalité qui leur soit propre et qui est reconnue limitée (Simon, 1955). Fondamentalement, elle est limitée (elle se trompe), car, si elle peut atténuer cette indétermination, elle ne pourra jamais l’éliminer : quelle que soit la méthode décisionnelle utilisée, une décision ne sera jamais, en amont, bonne en soi, elle sera reconnue bonne seulement, en aval, au regard des effets générés par son application. Sur le plan du processus, elle est aussi reconnue limitée, car les prises de décision sont inévitablement parsemées de biais cognitifs, collectifs et de signification (Morel, 2014A). Les biais possibles dans les prises de décision
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Les dynamiques organisationnelles et de groupe entourant les prises de décision qui génèrent ces biais peuvent, dans certaines circonstances, conduire à des choix contreproductifs, voir des erreurs « collectives persistantes » allant dans le sens contraire des buts recherchés ; « des erreurs absurdes » (Morel, 2014A, 2014B). Une contre-culture de la décision Pour contrer ces pièges psychosociaux du raisonnement et de la délibération, Morel (2014B) propose d’installer dans les organisations une contre-culture de la décision. En nous inspirant des métarègles qu’il propose à cet effet, nous retenons une approche des processus de décision où : |
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La controverse, outil de décision de première importance La mise à jour et le recours aux controverses et débats contradictoires nous apparaissent comme des procédés déterminants dans cette socialisation évoquée. La controverse permet une mise en évidence des dissensions qui peuvent travailler un groupe (Dodier,1995). Il s’agit de donner une visibilité aux lignes de clivage qui le traversent et au sens que chacun accorde à l’objet de décision et aux options avancées. La controverse est qualifiée de « professionnelle » par Clot (Clot, 2001), car elle convoque les personnes ayant des choses à dire sur les savoirs afin de faire aboutir la tâche (Ughetto, 2004). Il met en évidence le rôle primordial de l’exercice de la controverse dans la prise en compte du «réel de l’activité», c’est-à-dire de l’activité telle qu’elle est vécue ou appréhendée par la personne. La controverse est l’expression de la réflexion intérieure de la personne dans le groupe ; là, elle peut discuter pour elle-même le sens de la décision, de sa pertinence, de ses limites et la confronter aux avis de ses pairs. Autant les habitudes de travail en équipe peuvent être porteuses de recherche de décisions pertinentes, autant l’évitement des conflits, la peur de se dévoiler, la difficulté de prendre du recul, la confusion entre sa personne et son travail, freinent ou bloquent les processus de choix. Il s’agit pour les directions de faire évoluer la culture locale et de faciliter l’expression de la controverse. Castin (Castin, 2007) a observé dans des expériences de pratique de direction d'établissement combien les discussions autour d’un problème, la confrontation des avis, l’explicitation des arguments participent au développement du processus de décision. À l’inverse, quand les actrices et les acteurs choisissent la voie du non-conflit, les accords construits peuvent être creux et l’implication des actrices et acteurs dans leur mise en œuvre s’en ressent. Quand la direction souhaite rendre la controverse possible, elle joue un rôle dans lequel on ne l’attend pas. La tradition veut que la direction soit là pour susciter des accords ou imposer sa solution. Quand elle entretient la controverse, elle donne du temps à l’expression, elle recueille, reconnaît et met en évidence les éléments divergents. Voici diverses façons de faire pouvant aider dans ce type d’intervention dans le processus de décision :
♣ L’utilisation des rôles de « Critique », de « Rêveur » et de « Réaliste » fait apparaître des dimensions qui enrichissent le débat. Morel (2014B) évoque l’institutionnalisation d’une pratique d’avocat du diable, soit un « processus fort de contestation constructive d’un projet de décision » (p.184) où une personne ou un groupe de personnes sont désignés pour jouer ce rôle dans les délibérations.
♣ Organisation du travail collectif en trois temps : le premier est celui de l’annonce faisant place aux premières réactions spontanées ; le deuxième est celui de la controverse où la stratégie utilisée permet non seulement l’expression des divergences, mais aussi la construction d’un accord provisoire sur des options ; le troisième temps est celui du choix.
♣ Utilisation de la technique du Metaplan, de la carte mentale, mise en image des idées, construction d’un représentation collective des propos exprimées
♣ Invitation d’une ou d’un ami critique extérieur, diviser la délibération en plusieurs sous-groupes et confronter les opinions en plénière, veiller à l’hétérogénéité dans la composition du groupe de délibération.
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