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Pour un établissement apprenant

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Site: Pilotage de l'établissement
Contenu: Pilotage de l'établissement
Livre: Pour un établissement apprenant
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: samedi 23 novembre 2024, 14:09

6.9  Piloter un établissement apprenant


Nous avons vu que l’établissement qualifiant se concentre sur le développement de l’agir compétent chez les individus et les groupes. Lorsque nous évoquons l’établissement apprenant, nous nous référons cette fois au développement des savoirs et des connaissances organisationnelles; à la capacité collective dans l’établissement de créer, d’acquérir et de transférer ses savoirs et ses connaissances et de modifier ses aménagements organisationnels et son fonctionnement à la lumière de ceux-ci (Garvin, 1993). Le titre du volume de Ballay (2002) portant sur la gestion du savoir dans les organisations est évocateur à ce propos en indiquant que le savoir est « la seule ressource qui prend de la valeur en la partageant ».

Des savoirs tacites et explicites

Reconnaissons d’entrée de jeu que l’établissement, en tant qu’organisation, est un construit cognitif :  les savoirs y sont essentiels. Arrêtons-nous, dans un premier temps, à la distinction entre les deux types fondamentaux de savoirs à partir desquels l’établissement, en tant que construit cognitif, s’élabore et se développe : les savoirs tacites et les savoirs explicites (Davel, Tremblay, 2011; Bouvier, 2001, Nonaka, Takeuchi, Ingham,1997).

Les savoirs ou les connaissances tacites relèvent des expériences personnelles, de l’intuition et de l’expérimentation. Ils sont associés à des contextes en particulier et se rapportent à un individu, un groupe ou à toute une organisation. Ils sont difficiles à formaliser et souvent les individus et les groupes qui les possèdent n’en sont pas conscients, car ils demeurent enfouis dans des mémoires opérationnelles. Ils sont partiellement communicables à l’oral. Ces savoirs sont « au service de l’innovation en contexte organisationnel » (Davel, Tremblay, 2011, p. 65).

♣  Exemples : les savoirs mobilisés pour faire du vélo, enseigner une leçon de science à un groupe d’élèves, tenir une réunion d’équipe, organiser une soirée de remise des bulletins aux parents…

Les savoirs ou connaissances explicites sont des savoirs formalisés, accessibles, souvent codifiés dans des documents et « se prêtant à la transmission écrite ainsi qu’à travers les multiples possibilités classiques qu’offre la formation : séminaires, sessions, études de cas… » (Bouvier, 2004, p. 82). Ce sont des savoirs décontextualisés et conceptuels avec une portée générale.

♣  Exemples : les théories physiques de l’équilibre des forces  applicables au vélo, la didactique de l’enseignement des sciences,  les théories psychosociales des petits groupes, les modèles de communication sociale…

Le savoir organisationnel est issu d’une interaction sociale entourant le savoir tacite et le savoir explicite dans un mouvement de conversion d’un savoir à l’autre (Nonaka et Takouchi,1997). « Cette conversion est alors un processus par lequel le tacite est transformé en explicite. Notamment au moyen des spirales d’interactions continues entre les individus, les équipes de travail et les organisations » (Davel, Tremblay 2011, p. 66).

Les pilotes, préoccupés du développement du savoir organisationnel dans leur établissement, interviendront auprès des individus et des groupes afin d’amplifier ce mouvement de conversion entre les savoirs tacites et les savoirs explicites et vice versa.  Leurs interventions permettront la formalisation, le partage et l’accroissement de ces savoirs au profit d’un enrichissement collectif au service de l’efficacité des actions ménées. Ils inciteront à des expérimentations à partir de savoirs formalisés, parfois en référence à des théories établies, où les savoirs explicites pourront être internalisés par les actrices et les acteurs et, par l’action, se transformer en savoirs tacites pour eux.

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Illustration

Deux enseignantes du deuxième cycle du primaire ont développé au cours des années une pratique d’enseignement des sciences de la nature qu’elles estiment efficace.

1.    Au début, à la suite d’une planification minutieuse, elles ont expérimenté quelques leçons utilisant une approche active rapportée d’un congrès auquel l’une d’elles avait assisté à la suite de l’insistance de sa directrice (savoir explicite).

2.    En effectuant des recherches sur Internet à un poste dédié à cet effet dans le coin « ressources documentaires » de la salle du personnel, elles ont enrichi le modèle initial de référence (combinaison de savoirs explicites).

3.    Par la suite, elles ont graduellement organisé toutes leurs leçons à partir de ces premières expériences (internalisation du savoir explicite).

4.    Aujourd’hui, elles réalisent de façon spontanée, l’ensemble de leurs leçons avec un minimum de planification (savoir tacite).

5.    Leurs collègues du troisième cycle, en s’inspirant de leur pratique, introduisent elles aussi cette façon d’enseigner les sciences de la nature. La directrice de l’école a accordé des périodes de remplacement pour faciliter ce transfert de connaissances (effort de formalisation du savoir tacite pour le partager).

6.    Plus tard, la directrice a sollicité les deux enseignantes afin de présenter leur façon de faire à un colloque pédagogique. Pour préparer cette présentation, celles-ci discutent avec un conseiller pédagogique. Ce conseiller les aide à formaliser leur pratique qui est maintenant assez différente des modèles initiaux de référence (formalisation du savoir tacite). Aussi, une présentation PowerPoint est créée ainsi qu’un document de référence à l’intention des collègues qui participeront au colloque (savoir explicite).

Ceux-ci, s’ils le souhaitent, pourront utiliser ce modèle de référence afin d’amorcer un nouveau parcours d’apprentissages (nouvelle spirale d’interaction entre le savoir explicite et le savoir tacite).

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Ainsi s’installe une spirale amplificatrice entre les deux types de savoir où le tacite, par le biais des interactions sociales entre les individus, les groupes et même les organisations, devient explicite; à l’inverse, dans les réalisations et les bonifications répétées des actes appris, l’explicite devient tacite. Ainsi, sont créés et enrichis des répertoires de plus en plus intériorisés d’actions et de plus en plus spontanément sollicités.

 

 

  6.10  Gérer le savoir organisationnel

Les pilotes cherchant à optimiser l’efficacité de l’établissement - l’optimisation passant largement par une amélioration des pratiques - auront la préoccupation du développement du savoir vu comme une ressource première de l’organisation; une ressource reconnue comme son « capital intellectuel ». À ce titre, le savoir devient un objet de gestion, une gestion d’une « ressource qui prend de la valeur en la partageant » comme l’indique Ballay (2002). Partant des écrits de Nonaka et Takeuchi (1997), cet auteur propose un modèle de gestion des connaissances s’appuyant sur quatre fonctions par lesquelles les organisations favorisent les conversions entre les savoirs tacites et explicites afin de créer et développer une répertoire de connaissances accessible pour leurs actrices et leurs acteurs. Ces quatre fonctions sont : la socialisation, le renouvellement, le transfert et la capitalisation des connaissances. Ballay (p. 89) les décrit ainsi :

Δ  Socialisation des connaissances : l’ensemble des échanges directs de savoirs, par communication interpersonnelle – en présence ou à distance -, collaboration et discussion. La socialisation est une condition nécessaire qui sous-entend les trois autres processus de renouvellement, de transfert et de capitalisation. C’est en quelque sorte un métaprocessus de la gestion des connaissances.

♣  Exemples : communauté d’apprentissage, groupe de résolution de problème, conception d’activités par les équipes, observation dans la classe de collègue.

Δ  Renouvellement des connaissances : l’ensemble des processus par lesquels la communauté critique, corrige, ajuste, voire réduit les connaissances existantes pour les renouveler aussi bien de manière progressive dans les façons de faire existantes- approche incrémentale - que par des innovations en rupture de ces les façons de faire.

♣  Exemples : identification en groupe d’améliorations à apporter aux pratiques d’enseignement d’une compétence, retour en groupe sur des expérimentations d’une nouvelle méthode, révision des pratiques évaluatives par une équipe-cycle.

Δ  Transfert des connaissances : l’ensemble des processus de distribution, d’accès, d’utilisation de connaissances, voire de combinaison et de transposition de savoirs, par lesquels les utilisateurs se les approprient et deviennent capables, à leur tour, de les re-créer en produisant leurs propres applications de celles-ci ou en créant de nouvelles connaissances – devenir propriétaire du savoir -.

♣  Exemples : Partage des «bons coups» et des réussites, visite d’une école qui a mis en place des pratiques porteuses de succès, retour collectif à propos d’une formation suivie pour explorer des expérimentations prochaines.

Δ  Capitalisation des connaissances : l’ensemble des processus par lesquels des informations et des connaissances sont répertoriées, évaluées, rassemblées, formalisées, codifiées, classifiées, commentées, synthétisées, de façon à constituer une base de connaissances.  (N.B. L’auteur indique concevoir la capitalisation comme « un menu à la carte » composé d’un ou de plusieurs de ces processus.)

♣  Exemples : fiches simples de consignation des projets réalisés, consignation de bilans d’expérimentation, répertoire électronique des documents produits dans l’établissement.

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Illustration

Deux enseignantes introduisent une nouvelle pratique d’enseignement des sciences de la nature dans leur classe. Au regard de la gestion des savoirs, elles rejoignent ses quatre  fonctions :

  • Tout au long de leur parcours, il y a socialisation des savoirs, car, au début, dans des activités d’un congrès elles ont été  en  contact avec un modèle d’enseignement inspirant; elles ont collaboré à la conception, préparation et réalisation d’activités à la lumière du modèle; subséquemment à leur expérience, elles ont apporté du soutien aux collègues de leur école qui souhaitaient recourir aux activités qu’elles avaient expérimentées avec succès, avec un conseiller pédagogique elles ont formalisé le savoir issu de leur expérimentation et, finalement, elles ont présenté ce  savoir à un  colloque sur la pédagogie de leur région.
  • Elles opèrent un renouvellement majeur dans leur pratique en s’appropriant un modèle éprouvé, en l’adaptant à leur réalité et en introduisant des façons de faire inédites dans leur pratique.
  • Elles mènent  plusieurs transferts: du modèle initial entendu  à leur pratique en classe, de leur nouvelle pratique  vers la pratique de leurs collègues de  l’école et finalement elle  communique leur nouveau savoir dans le  cadre d’un colloque.
  • Elles se sont affairés à formaliser leur  savoir dans une présentation et des documents pour le colloque que demeureront accessibles par la suite. Ainsi, des traces du projet sont consignées et les savoirs sont capitalisés et deviennent une ressource pérenne.

Contre exemple

Une secrétaire (unique dans une école primaire) est en poste depuis près de 18 années. Tout au long de ces années, elle a su intégrer une succession de nouvelles dispositions et de normes administratives (savoirs explicites) et aménager non seulement sa pratique, mais aussi le classement de la documentation administrative tant électronique que papier (savoirs tacites) afin de maintenir une grande efficacité dans l’exécution de ses tâches et dans les réponses qu’elle apporte aux multiples demandes qu’elle reçoit. Elle maîtrise parfaitement l’échéancier et le contenu des tâches de l’organisation scolaire de l’école (savoir tacite) et, à ce titre, elle est une contributrice précieuse pour les directions, souvent nouvellement en poste qui se fient à elle pour contrôler ces opérations administratives.

À la suite d’un diagnostic d’une grave maladie, la secrétaire quitte l’emploi subitement. La direction, nouvellement en poste au même moment, se retrouve en situation précaire face aux multiples opérations d’organisation scolaire et à l’ensemble des autres opérations administratives à mener. Comme les savoirs de cette organisation sont largement demeurés tacites, la direction et la nouvelle secrétaire, sans expérience, se retrouvent donc dans l’obligation de reconstruire un savoir à ce propos. La direction prend la résolution qu’elle veillera, dans le futur, à ce que la secrétaire de l’école formalise, dans des procéduriers et dans une nomenclature des documents, ses savoirs afin de les capitaliser pour l’organisation.

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6.11  Exercer un pilotage jardinier

Selon Garvin (1993), les entreprises intelligentes - nous pourrions dire les établissements intelligents - pilotent de façon active leur processus collectif d’apprentissage  à travers cinq principales activités :

  • la résolution des problèmes rencontrés;
  • l’expérimentation et l’innovation;
  • les prises de recul à partir des expériences vécues et des enseignements du passé, et l’apprentissage à partir de sa propre expérience et de son histoire;
  • l’exploration des expériences et des succès des autres (l’organisation apprenante cultive l’art de l’écoute ouverte, attentive et critique);
  • le transfert des connaissances à travers l’organisation (Garvin, 1993).

« Les pilotes qui cherchent à développer cette capacité intellectuelle collective de création, d’apprentissage et d’adaptation » (Burlaud, 2009, p. 25) viseront à créer, dans leur établissement, un environnement de travail qui soit aussi un environnement d’apprentissage pour les enseignantes et les enseignants ainsi que pour les autres membres de leur personnel. Dans un tel environnement, la participation et les interactions suscitent chez eux un investissement personnel et collectif, par lequel ils pourront, selon Davel et Tremblay (2011), développer :

  • leur volonté et leur capacité d’apprendre;
  • leur capacité d’analyse des succès et des échecs pour tirer des leçons et s’améliorer;
  • leur capacité à saisir rapidement les aspects fondamentaux d’une situation;
  • leur disposition à essayer des approches nouvelles et à tenter différentes solutions pour résoudre des problèmes.

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Avec Morgan (2003), nous reconnaissons l’ampleur des transformations organisationnelles à opérer pour qu’un établissement devienne apprenant et produise un tel environnement de travail et d’apprentissage pour le travail, mais surtout par le travail.

L’apprentissage et l’auto-organisation exigent en général que l’on modifie des attitudes, que l’on privilégie la primauté de l’initiative sur la passivité, de l’autonomie sur la dépendance, de la souplesse sur la rigidité, de la collaboration sur la concurrence, de l’ouverture de l’esprit sur son étroitesse, et du questionnement démocratique sur la croyance autoritaire. Pour beaucoup d’organisations, cela exige un « changement de personnalité » qui demande un temps considérable pour s’organiser. (Morgan, p. 118)

Ce même auteur (2003) énonce des freins – des routines défensives - et des leviers suivants avec lesquels les pilotes ont à composer pour développer cet environnement et l’intelligence organisationnelle.

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Le pilotage du sous-système de l’intelligence organisationnelle vise à créer – jardiner- un environnement qui suscite et soutient une autorégulation des pratiques, laquelle autorégulation est reconnue essentielle aux apprentissages professionnels et organisationnels.  Une diversité de modalités et d’activités d’apprentissage pour et surtout par le travail y prennent place afin de susciter, chez les individus et dans les groupes, des boucles de retour à soi- à nous-, aux pratiques et aux modèles d’action. Les pilotes utilisent diverses « portes d’entrée » pour susciter l'ouverture à de telles démarches d’autorégulation dont voici quelques exemples : la révision des contenus enseignés au regard des exigences du programme ou des visées  du projet éducatif; un retour sur les résultats d’apprentissage des élèves au regard des cibles; la correspondance entre les normes, modalités et contenus d’évaluation des apprentissages réalisés et les attentes du programme à cet égard; une réflexion sur les pratiques employées au regard des dernières connaissances; une sensibilisation à des pratiques éprouvées; le soutien à des innovations… Quelles que soient les portes utilisées, ces initiatives visent à déclencher la réflexivité sur la pratique afin d’y débusquer les erreurs d’action et de générer des ouvertures à une recherche et un projet d’amélioration. Quels que soient les objets par lesquels les pilotes s’ingénieront à susciter ces mouvements, ils auront à demeurer vigilants aux zones proximales de développement des personnes et des groupes à l’intérieur desquelles pourra être toléré l’état de déséquilibre provoqué par la reconnaissance des erreurs d’action - des écarts entre la situation obtenue et la situation souhaitée.

Dans cet environnement d’apprentissage, l’élément déterminant est la socialisation des savoirs par laquelle il y a passages entre les savoirs tacites et les savoirs explicites; une socialisation qui ouvre sur une collaboration pour apprendre (Boyer et coll.,2015) pouvant prendre plusieurs formes.

Le travail collaboratif est un moteur clé de la transformation des comportements. C’est le ciment social qui permet à une organisation d’aspirer à la cohérence. Les exemples que nous venons de donner nous montrent qu’il n’existe pas de méthode unique pour développer une culture de l’épanouissement professionnel ou pour apprendre en collaboration, et que toute réussite découle d’un plan d’action collaboratif en fonction d’objectifs systémiques (Fullan, Quinn, 2018, p.91)

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Dans notre représentation du système du pilotage de l’établissement, chacun des sous-systèmes est relié aux autres. Dans le cas du sous-système de l’intelligence cette reliance se rapporte à des finalités significatives au nom desquelles le questionnement et les explorations pourront prendre place, à des communications soutenues dans des réseaux et des activités de socialisation des savoirs, à des prises des décisions participatives générant des choix d'investigation et d'amélioration partagés, à des évaluations qui font apparaître des besoins d’apprentissage et de développement professionnel et à une veille qui produit de données de référence pour le  questionnement des actions et des résultats.  

Retenons des métarègles d’intervention de pilotage dans l’environnement d’apprentissage de l’établissement :  assurer que les cibles d’apprentissage professionnel et organisationnel sont réalistes et atteignables, miser sur une variété d’activités complémentaires les unes aux autres, reconnaître et même valoriser le droit à l’erreur comme ingrédient essentiel à l’apprentissage, recourir à des approches de résolutions de problèmes parfois liées à l’amplification de réussites – bons coups-, ne pas imposer les cibles à atteindre et les structures de collaboration.

   

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Contribution des participantes et participants

Vous êtes invités à commenter et enrichir les documents par vos commentaires, des observations sur votre pratique et votre contexte de pilotage.