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Pour un établissement qualifiant

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Site: Pilotage de l'établissement
Contenu: Pilotage de l'établissement
Livre: Pour un établissement qualifiant
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mercredi 24 avril 2024, 17:37

6.2  «Jardiner» un environnement d’apprentissage professionnel et organisationnel

Pouvons-nous concevoir une organisation, tel un établissement, qui aménage ses actes sans recourir à des savoirs? Évidemment non, car chacun des actes est fondé, d’une façon ou d’une autre, tacitement ou explicitement, sur des savoirs quelconques : les savoirs enseigner, les savoirs éduquer, les savoirs gérer, les savoirs étudier… Reconnaissons que toutes les opérations de l’établissement liées à l’enseignement, à la gestion des personnes et des groupes, au soutien au parcours scolaire et à la gestion des ressources matérielles et financières se fondent sur les savoirs de ses actrices et de ses acteurs et sur leur capacité à le questionner et à le renouveler pour agir avec efficacité dans des réalités complexes en transformation.

Ces savoirs ne sont pas figés, ils se construisent à même les actes posés à travers des processus de perception, de sélection et d’attribution de sens à ces actes en fonction de l’environnement dans lequel ils sont posés :

  • enseigner une telle leçon à un groupe d’élèves ayant telles caractéristiques;
  • intervenir auprès d’un tel élève perturbateur dans un tel contexte de classe,
  • gérer un tel changement dans une telle équipe marquée par son histoire,
  • s’approprier la résolution de problème mathématique dans un tel environnement…

Pour Weick (1995), ces processus à partir desquels les actes sont posés, au-delà des structures de fonctionnement les encadrant, sont l’essence même de l’organisation; une organisation vue comme un processus cognitif en constante adaptation à son environnement. Dans ces processus cognitifs, les actrices et les acteurs perçoivent leur situation d’action. Pour y agir, ils sélectionnent des routines intériorisées lorsque celles-ci leur paraissent appropriées au cas contraire, ils tentent de concevoir de nouveaux programmes d’action plus pertinents. À travers ces processus, un sens aux actes menés est attribué. Cette construction de sens peut-être plus ou moins collective selon le niveau de socialisation des savoirs présents entre les actrices et les acteurs.  Nous associons cette construction de sens individuel et collectif, ce avoir en acte, à l’intelligence organisationnelle.

Piloter le sous-système de l’intelligence c’est dynamiser les processus cognitifs d’organisation en créant et en entretenant, comme un jardinier, un environnement d’apprentissage – une écologie de l’apprentissage. Dans cet environnement, les actrices et les acteurs pourront actualiser leur répertoire d’actes en fonction de leurs situations d’action reconnues en continuelle transformation.  Ce pilotage s’inscrit dans deux perspectives à la fois distingues et complémentaires (Davel, Tremblay, 2011) :

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Les fonctions de la direction selon la Loi de l’instruction publique du Québec :

92.12 Sous l'autorité du directeur général de la commission scolaire, le directeur de l'école s'assure de la qualité des services éducatifs dispensés à l'école. Il assure la direction pédagogique.

96.20 Le directeur de l'école, après consultation des membres du personnel de l'école, fait part à la commission scolaire des besoins de l'école pour chaque catégorie de personnel, ainsi que des besoins de perfectionnement de ce personnel.

96.21 Le directeur voit à l'organisation des activités de perfectionnement des membres du personnel de l'école convenues avec ces derniers en respectant les dispositions des conventions collectives qui peuvent être applicables, le cas échéant.

Dans d’autres systèmes scolaires nationaux, en fonction de leur structure de gouvernance, la responsabilité du pilotage du sous-système de l’intelligence organisationnelle des établissements peut être attribuée à différentes catégories d’actrices et d’acteurs : inspections, conseillers du réseau d’appartenance, directions de services, directions d’établissement… Dans certains cas, le choix des activités de formation est un droit et une prérogative individuels de chaque enseignante et enseignant.  Quel que soit les rôles de ceux et de celles qui pilotent ce sous-système et le cadre légal dans lequel ils agissent, ils se doivent tenir en compte l’écologie de l’apprentissage présent dans l’établissement afin d’y susciter, introduire et y supporter des activités qui généreront chez ses actrices et acteurs une autorégulation individuelle et collective des pratiques (Cosnefroy, 2011). Cette autorégulation permettant une ouverture à l’amélioration et aux apprentissages est essentielle au développement du savoir professionnel et organisationnel.

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  6.3  Piloter un établissement qualifiant
La qualification se rapporte au développement de l’agir compétent chez les individus et les groupes et à leur performance dans leurs activités de travail. Un établissement qualifiant développe chez son personnel la capacité à faire face aux imprévus, aux dysfonctionnements et aux difficultés.

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Pour ce faire, elle (organisation qualifiante) favorise une communication active et directe autour d’une coresponsabilité en matière d’objectifs de performance et d’évaluation d’organisation. De plus, elle permet le développement d’un espace autonome d’explicitation de la stratégie de l’entreprise[1] et permet aux employés de s’investir dans des projets d’amélioration permanente de leur outil ou de leur sphère de travail, de telle sorte qu’ils puissent eux-mêmes se projeter dans l’avenir, penser leur savoir-faire.  (Davel, Tremblay, 2011, p. 48)

[1] Dans l’établissement, la stratégie est formulée dans son projet éducatif et dans son plan de réussite.

De la formation pour le travail à la formation par le travail

La voie traditionnelle dans une organisation pour développer les savoirs chez les membres de son personnel est de les diriger vers des activités de formation programmées (que nous qualifierons plus loin de formelles) dans un contexte éloigné de leur pratique; des activités souvent réalisées à l’extérieur de l’organisation. Dans les organisations scolaires, cette voie traditionnelle se retrouve souvent dans des offres de formation dans le cadre des journées régionales.

Toutefois, les impacts d’un tel type de formation semblent relativement ténus. Roussel (2011, p. 1) rapporte qu’il est estimé que seulement « entre 10 % et 20 % des activités de formation en milieu organisationnel font l’objet d’un transfert durable ». Ce type d’activité, que nous pourrions qualifier de formation pour le travail, ne semble pas, en soi, des plus productifs.

Le transfert des apprentissages en milieu organisationnel peut être défini comme étant l’utilisation, par un individu, des connaissances, des savoirs et des habiletés appris en formation, dans le cadre de contextes de travail comportant un certain degré de nouveauté, et ce, afin d’améliorer, de façon prioritaire, sa performance. (Roussel, 2011, p. 38)

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Même si la formation pour le travail demeure une avenue à privilégier dans certaines circonstances, la formation par le travail, fondée sur les activités de travail et les expériences (Davel, Tremblay, 2011) s’avérerait souvent plus performante en ce qui concerne leur ’impact surtout dans le cas de pratiques complexes comme celle de l’enseignement.

Il s’agit d’une formation qui s’appuie sur un apprentissage organique, holistique et contextuel, fondé sur les activités et les expériences, et activé par les apprenants plutôt que par les formateurs, dans un climat souvent collaboratif ou collégial. (Beckett et Hager, 2002, dans Davel, Tremblay, 2011, p. 23)

 

6.4  Susciter une autorégulation des actions

Le pilotage de l’établissement est une affaire de régulation d’un fonctionnement en boucles en vue de l’atteinte des destinations établies, soit les résultats visés. Ainsi, une recherche d’efficacité est réalisée à travers des boucles rétroactives de retour d’informations entre les résultats obtenus, les actions accomplies, les intentions poursuivies et les analyses de situation réalisées; ces boucles étant source d’adaptation organisationnelle(Bouvier, 2009). Par exemple, un établissement interrogera ses actions d’encadrement des élèves à la lumière d’un écart entre les cibles de diminution des références d’élèves pour des comportements inacceptables et le nombre effectif de références obtenu afin d’explorer des correctifs à apporter.

Qu’en est-il de l’efficacité individuelle des actrices et des acteurs? Pour eux, qu’ils soient enseignantes, enseignants ou autres, la recherche de l’efficacité de leurs actions recourt au même type de fonctionnement en boucles rétroactives. Par de telles boucles, ils interrogent des résultats insatisfaisants au regard des actions qu’ils accomplissent, de leurs intentions et des analyses préalables qu’ils ont réalisées. Ces interrogations mèneront, si jugées nécessaires, à des ajustements dans leur processus d’action pour réduire les écarts entre les résultats visés et les résultats obtenus. Dans un retour à soi, à ses actions, à ses intentions et à ses compréhensions de situation, à travers une auto-observation de sa pratique et de ses résultats, l’individu et l’équipe créent une ouverture aux changements de pratique. Cette ouverture aux changements à travers une autorégulation est essentielle à l’apprentissage. Sans une disposition à l’autorégulation, il n’y aura pas d’apprentissage et toute activité de formation, quelle que soit sa forme, demeurera caduque.

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L’existence d’un but clairement posé définit une condition nécessaire à l’exercice du contrôle, mais celui-ci ne deviendra effectif que si l’apprenant est capable de prendre conscience de son fonctionnement en observant sa propre conduite, puis de porter un jugement sur la qualité de ce fonctionnement. S’autoréguler implique ainsi de mettre soi sous analyse, de s’auto-observer, de développer un regard critique sur son propre fonctionnement qui permet de juger le travail accompli et… de changer le fonctionnement mis en œuvre.  (Cosnefroy, 2011, p. 17)

Partant de l’illustration ci-dessus du processus d’action, observons cette dynamique d’autorégulation chez un individu ou même dans un groupe. Si, à la suite des actions accomplies, les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous et qu’un écart entre ses intentions initiales et les résultats obtenus apparaît, il y a une incohérence entre ce que l’individu ou le groupe estimait pouvoir obtenir et ces résultats observés. Au regard de l’efficacité d’action, il y a erreur d’action entre la compréhension de la situation initiale, les résultats recherchés, les actions exécutées et les résultats obtenus.  Sur ce plan cognitif, une dissonance apparaît entre le savoir d’action mis en actes (la théorie ou le modèle d’action) et le constat de l’inefficacité des actions accomplies. Cette dissonance cognitive crée un inconfort et un déséquilibre chez l’individu ou le groupe. Il y a alors un effort, par des mécanismes d’ajustement plus ou moins conscient, pour rétablir cet équilibre soit :

En justifiant les résultats obtenus;

Attribution de l’écart observé à une cause extérieure à ses actions en tant que telles :

une circonstance exceptionnelle, un manquement de la part des élèves, d’autres enseignantes et enseignants ou même de leurs parents, un contexte de travail trop contraignant…

Au nom d’une justification, l’individu recrée un équilibre interne en attribuant la défaillance de l’action hors de lui sans interroger sa propre efficacité d’action et sa théorie d’action. Il attribue une faute, à tort ou à raison, en dehors de lui et ne se reconnaît pas en erreur d’action. 

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En s’efforçant d’apporter des modifications au processus d’action.

Attribution de l’écart observé à une erreur dans son propre processus d’action :

une action mal accomplie, des intentions irréalistes, une mauvaise compréhension de la situation…

En s’attribuant, en totalité ou en partie, la responsabilité de la défaillance de l’action, l’individu s’efforcera de reconstruire un savoir d’action et apportera des modifications à l’une ou l’autre des composantes de son processus d’action.

Cosnefroy (2011, p. 26) indique que l’ouverture à l’autorégulation des actrices et des acteurs à une remise en cause de leurs processus et théorie d’action est variable, car elle est le fruit « d’une transaction entre le sujet doté d’une personnalité et porteur de compétences, et une situation donnée »; transaction où jouent à la fois le sentiment d’efficacité personnelle, la motivation à apprendre et les conditions facilitantes en place dans l’environnement de travail et d’apprentissage.

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Un pilotage du sous-système de l’intelligence organisationnelle vise à créer un environnement de travail qui soit aussi un environnement d’apprentissage. Dans un tel environnement, les actrices et les acteurs, en tant que sujets apprenants, transigent de façon ouverte, consciente et créatrice avec leurs situations de pratique pour choisir les actions appropriées aux résultats recherchés. Lorsque ces résultats ne se produisent pas, ils sont incités et soutenus à reconnaître les erreurs d’action et à explorer de nouvelles pistes d’actions.

Passer de l’inefficacité à l’efficacité soulève l’épineuse question du changement. Le praticien qui avoue son inefficacité dans une ou plus d’une situation donnée reconnaît par le fait même les limites de son modèle d’action. Le praticien, dirons-nous, vit alors une crise. Toutefois, la notion de crise n’est pas uniquement utilisée ici pour désigner la catastrophe ou une très grande instabilité, comme c’est souvent le cas dans l’usage qu’on en fait habituellement. Elle demeure néanmoins la manifestation d’un déséquilibre, d’un désordre et même de l’absence de solutions (Morin, 1976; Thom, 1976). Les praticiens qui viennent réfléchir sur leur modèle d’action dans nos ateliers de perfectionnement ne se trouvent pas toujours dans des situations d’inefficacité graves. Cependant, tous vivent une insatisfaction suffisamment importante, dans une ou des situations professionnelles données, pour qu’ils décident de corriger la situation. (Bourassa, Serre, Ross, 2000, p. 87)

 

Les pilotes « jardiniers » préoccupés de l’efficacité de leur établissement auront à créer un environnement de travail non seulement propice aux remises en question en fonction des résultats obtenus, mais qui offrira aussi aux individus et aux groupes des conditions favorables à l’exploration des zones d’ombre de l’inefficacité suscitant leur motivation à apprendre en protégeant, un tant soit peu, leur sentiment d’efficacité personnel et collectif. La création de cet environnement d’apprentissage interpelle tous les sous-systèmes de pilotage:

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Des outils pour le pilotage

Sous-systèmes de pilotage

Conditions de l’environnement d’apprentissage

Finalisation

L’action à réguler et les apprentissages à réaliser s’inscrivent dans un projet significatif pour les actrices et les acteurs. Au nom d’un tel projet, ils accepteront de prendre le risque d’interroger l’efficacité de leurs actions et d’expérimenter des voies nouvelles.

Communication organisationnelle

La présence de réseaux et d’activités de partage, d’entraide, de collaboration et de soutien offrant l’accès à des ressources (savoirs) et permettant le questionnement, l’émergence de recadrage des défaillances observées et la recherche d’améliorations.

Décision

Des processus décisionnels transparents permettant la construction d’un sens partagé face aux choix d’actions à mener et aux activités d’apprentissages à réaliser; cette construction se faisant à travers diverses modalités de participation et des exercices de traduction des enjeux et des contingences en présence.

Évaluation

Une évaluation qui permet aux actrices et aux acteurs de construire individuellement et collectivement un jugement sur les actions accomplies et les résultats obtenus en fonction de signes de succès préalablement convenus et qui peuvent se redéfinir en cours de réalisation. Cette évaluation se réalise tant aux termes des actions pour tirer des leçons qu’en cours d’expérimentation pour apporter des correctifs, chemin faisant. Ce sont les évaluations, formelles ou même informelles, qui font apparaître un besoin d’apprentissage.

Veille Un dispositif de veille qui livre des informations sur les actions menées et les résultats obtenus à partir de données recueillies. Ces informations alimentent la réflexion sur l’action.

 

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6.5  Générer l’apprentissage par différentes boucles

Revenons à l’autorégulation et à un fonctionnement en boucles par lesquelles les actrices et les acteurs apprennent et apportent des modifications à leur processus d’action. Dans ce fonctionnement, nous reconnaissons des apprentissages en simple boucle et en doubles boucles d’apprentissage (Argyris et Schön, 2002) se produisant lorsque les actrices et les acteurs perçoivent un écart entre les résultats projetés et les résultats obtenus.

Voici une autre illustration de ces boucles simples et doubles d’apprentissage. La boucle simple génère un changement au niveau de l’action en tant que telle. Lorsqu’il y a un écart entre les résultats souhaités et ceux obtenus, la première réaction est d’apporter ce type de changement en modifiant l’action : faire plus de la même chose ou chercher à la faire mieux. Si l’écart persiste, parfois après plusieurs tentatives d’amélioration de l’action, alors un changement au niveau de la conception de l’action prend place : faire autre chose

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Il est possible que l’étude d’un problème d’inefficacité amène à constater qu’un praticien est conscient de l’écart entre ce qu’il fait et ce qu’il voudrait faire, mais qu’il n’arrive pas à mettre en exécution ses plans. Il se peut aussi qu’en d’autres moments il n’en soit pas conscient ou, encore, qu’il poursuive des intentions irréalistes. La plupart du temps, nous constatons qu’il existe une récurrence, c’est-à-dire une répétition et donc une prédominance de l’un ou l’autre de ces types de problèmes dans diverses situations d’inefficacité vécues par un praticien. Faut-il s’en surprendre! Partant du principe que les modèles d’action sont des habitudes qu’il a développées, le praticien répète également les mêmes processus de résolution de problème. Dans l’efficacité comme dans l’inefficacité, il fait plus de la même chose. (Bourassa, Serre, Ross, 2000, p. 85)
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Illustration

Simple boucle :

♣  Ajouter, pour les élèves à risque, des périodes de récupération à celles qui leur sont déjà offertes.

♣  Solliciter plus de ressources et de disponibilité de la part de la direction pour répondre au nombre d’élèves sortis des classes.

♣  Expédier plus de messages de rappel aux parents à propos de la soirée des bulletins.

♣  Ajouter des sanctions dans le code de vie à celles déjà existantes.

Double boucle :

♣  Revoir les objectifs et les modalités d’activité de remédiation pour les élèves à risque.

♣  Revoir les responsabilités et les pratiques de chacun des niveaux d’intervention auprès des élèves qui ont des comportements inacceptables dans les classes.

♣  Reconsidérer les objectifs de communication aux parents lors de la remise des bulletins, préciser la teneur de l’invitation à leur communiquer et déterminer des modalités de communication.

♣  Actualiser le code de vie en revisitant ce qui est attendu de la part des élèves et des parents et les mesures tant préventives que punitives pour inciter les élèves à assumer leurs responsabilités.

 

Nous avons présenté ces conceptions de l’apprentissage dans et sur la pratique associée à l’autorégulation et aux boucles d’apprentissage afin d’illustrer sa complexité et mettre en évidence le défi pour les pilotes que représente la création d’un environnement de travail favorable à l’apprentissage individuel et collectif. Trop souvent, les gestionnaires abordent les besoins d’apprentissage de leurs personnels, enseignantes et enseignants ou autres, selon un modèle traditionnel de programmation de sessions d’enseignement. Avec cette unique approche du « catalogue d’activités de formation », l’environnement d’apprentissage créé demeure relativement pauvre au regard de la variété des aménagements et des conditions requises pour susciter des apprentissages réels et le développement des compétences chez les actrices et les acteurs. Au-delà de la compréhension fine des processus en simples et en doubles boucles d’apprentissage, ce qui est à retenir c’est la nécessité pour les pilotes de mettre en place un ensemble de moyens, complémentaires les uns aux autres, afin de susciter des apprentissages dans et par l’action; un apprentissage par le travail. À ce titre, Morgan (2003) indique quatre lignes de conduite d’une approche de gestion et de pilotage orientées vers l’apprentissage.

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Des outils pour le pilotage

 

6.6  Instituer des activités de professionnalisation

Un établissement qualifiant est un établissement qui crée un environnement suscitant le développement de l’agir compétent dans une perspective de professionnalisation, principalement de ses enseignantes et de ses enseignants. Si cette professionnalisation permet la consolidation d’une identité collective de référence, elle favorise surtout le développement d’un savoir agir dans des situations de pratique à la fois incertaines et complexes (Pelletier, 2010). Cette professionnalisation repose avant tout sur un engagement personnel dans des parcours d’apprentissage individuel ou collectif qui, sur le plan organisationnel, est supportée par une offre « de professionnalisation » à travers une variété d’activités (Le Boterf, 2007; Davel, Tremblay, 2011). Selon Le Boterf (2007), trois types d’actions permettent le développement des compétences :

  • la prise de contact avec des ressources apportant des connaissances et des savoirs faire à travers des apprentissages surtout formels et informels;
  • l’entraînement à des pratiques professionnelles permettant la mobilisation et la combinaison des ressources à travers des apprentissages surtout formels et informels;
  • la prise de recul et la réflexivité générant l’analyse de la pratique à travers des apprentissages surtout non formels.

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En fonction de ces trois types d’actions devant être complémentaires dans un environnement d’apprentissage, voici, à titre d’illustration, des exemples d’activités dans chacun des types : 

Types d’action

Exemples d’activités

Prise de contact avec des ressources

  • session de formation
  • visite dans des écoles ayant développé des pratiques exemplaires
  • centre de documentation dans l’école
  • des webographies thématiques offrant des références accessibles sur un poste de travail dans la salle des profs ou sur les postes personnels
  • colloques
  • partage de savoirs entre collègues
  • observations d’une pratique dans la classe d’une collègue (modelage)
  • etc.

Entraînement à des pratiques professionnelles

  • étude de cas
  • expérimentation en classe avec retour d’expérience
  • pratiques ciblées (porter attention à une pratique particulière dans son enseignement)
  • participation à une recherche-action
  • réalisation de projet
  • jeu de rôle
  • etc.

Prise de recul et réflexivité

  • groupe de résolution de problèmes
  • communauté d’apprentissage professionnel
  • journal de bord
  • portfolio
  • accompagnement
  • coaching
  • etc.

Cette proposition de Le Boterf, démontrant l’importance de ces trois types d’actions dans le développement des compétences, met une fois de plus en lumière la pauvreté d’un environnement de travail et d’apprentissage qui a recours uniquement à des activités formelles de formation : « une simple offre d’actions de formation ne peut répondre aux exigences de professionnalisation », nous dit-il (Le Boterf, 2007, p. 78).

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6.7  Miser sur les apprentissages tant formels que non formels et informels

Les apprentissages réalisés dans les activités de formation pour le travail et dans les activités de formation par le travail se retrouvent sur un continuum entre des apprentissages de nature formelle et des apprentissages de nature informelle. Ce continuum est établi en fonction de quatre caractéristiques : le contrôle de la démarche; l’emplacement et le cadre des activités; le but et le contenu. Voici un tableau qui les illustre.

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Caractéristiques des apprentissages

Caractéristiques

 

Apprentissage formel

 

Apprentissage informel

Contrôle de la démarche

Par un formateur qui apporte le soutien et évalue les acquis selon ses critères.

Par l’employée ou l’employé qui reçoit un soutien de son entourage et de ses réseaux sociaux et évalue ses apprentissages selon son niveau de satisfaction.

Ex. : une session de formation donnée par un conseiller pédagogique.

Ex. : une discussion spontanée à la suite d’une session de formation dans une salle commune en présentiel ou par Internet.

Emplacement et cadre

Dans un lieu et à un moment spécifiquement dédiés pour la formation (salle de classe, salle de formation…).

Dans un lieu et à un moment dédiés à une autre fonction que l’apprentissage et la formation (couloir, salle de rencontre, réseaux d’échanges…).

Ex. : dans un local institutionnel.

Ex. : dans la salle du personnel.

But

La finalité d’apprentissage est déterminée par une instance et est la raison première de l’activité.

La finalité d’apprentissage est déterminée souvent implicitement par l’employée ou l’employé et peut être un motif secondaire de l’activité.

Ex. : implantation d’une nouvelle approche d’enseignement de la lecture.

Ex. : résolution d’un problème.

Contenu

Le contenu abordé et le résultat d’apprentissage escompté sont déterminés par une instance.

Le contenu abordé et le résultat d’apprentissage escompté sont déterminés par l’employée ou l’employé.

Ex. : une nouvelle politique à implanter.

Ex. : une amélioration dans ses façons de faire.

Inspiré de Wihak et Hall (2008)

Dans ce continuum, entre les pôles formel et informel, plusieurs auteurs insèrent des apprentissages dits non formels, car certaines de leurs caractéristiques peuvent être de nature formelle et d’autres de nature informelle (Observatoire compétences-emplois, 2013).

Illustration

Une communauté de pratique en enseignement du français initié par un service régional dans le but de soutenir le développement de la littératie. Cette communauté est animée par une intervenante du service. Des enseignantes et des enseignants de diverses provenances y participent de façon régulière en fonction d’un calendrier et dans des lieux préétablis.   Les sujets abordés dans la communauté sont décidés par ses participantes et ses participants qui déterminent aussi comment ils le seront. Cette activité se retrouve à mi-chemin entre l’apprentissage totalement formel et l’apprentissage totalement informel.

Apprentissage non formel, ses caractéristiques

Contrôle du processus et de la démarche

oui

Emplacement et cadre

non

But

non

Contenu

oui

De plus en plus, les organisations introduisent des activités d’apprentissage nonformel dans l’environnement d’apprentissage qu’elles créent estimant qu’elles sont plus performantes au regard du transfert : coaching, communauté de pratique, codéveloppement professionnel… Dans les écoles, les services régionaux et les réseaux scolaires, la tendance à l’implantation de communautés d’apprentissage et de communautés d’apprentissage professionnel correspond bien à cette mouvance.

Au-delà des distinctions théoriques à faire entre les trois types d’apprentissages, la question pour le pilotage est de veiller à ce que le travail des enseignantes et des enseignants ainsi que des autres personnels suscite chez eux des apprentissages qui produiront des changements effectifs dans leur pratique. Nous avons vu qu’un modèle fondé sur la formation pour le travail, recourant uniquement à des activités de nature formelle, a peu d’impacts à moyen et à long terme sur les pratiques, et ce, particulièrement pour des pratiques complexes comme celles de l’enseignement. Le travail lui-même s’avère être une source de développement du savoir agir en contexte. Trop souvent, les initiatives de formation sont isolées les unes des autres et ne s’inscrivent pas dans la recherche d’un environnement d’apprentissage global.

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Illustration

Un service régional pour soutenir l’implantation de novelles pédagogies mène un programme de formation à l’enseignement stratégique. Sur le plan formel, des activités s'adressant à des enseignantes et des enseignants volontaires et s’échelonnant sur trois années sont tenues. Ces activités comportent des présentations théoriques et de prises de recul sur la pratique.  De façon non formelle, les participantes et les participants peuvent organiser avec un conseiller pédagogique ou une enseignante ressources des rencontres d’accompagnement pour les soutenir dans le transfert en classe. Ils peuvent aussi échanger sur leur pratique à partir de forums Internet. S’ajoutent des rencontres de supervision avec les directions qui les invitent à faire le point sur leurs démarches et leurs apprentissages et explorent avec eux, au besoin, des modalités complémentaires de soutien. Finalement, de façon informelle, les participantes et les participants ont la possibilité de consulter des documents complémentaires accessibles sur Internet.

Contre exemple

Dans un centre de formation professionnelle, quatre enseignants suivent des cours dans le cadre du baccalauréat en formation professionnelle. La direction ne connaît pas les thématiques de leurs cours et ne discute pas avec eux pour stimuler le transfert des apprentissages dans leur enseignement; d’ailleurs, personne de l’établissement ne le fait. Leurs collègues ne sont pas informés du contenu de leur formation. Il n’y a pas de moments d’échanges avec eux sur leurs apprentissages. Tout cela, comme si cette formation formelle extérieure à l’établissement ne concernait pas les pratiques dans l’établissement et ne pouvait pas représenter des occasions de partage et de construction de savoirs pour ses actrices et ses acteurs.

Ces mesures ont toutes en commun de promouvoir des situations à partir desquelles il est possible d’apprendre. Elles se présentent comme des situations potentielles d’apprentissage. L’individu a la possibilité de développer ses capacités et son pouvoir d’agir grâce aux ressources qui lui sont proposées – travail collaboratif, pratiques réflexives ou réfléchies, tutorat, explicitation du travail, formation, etc.

Il arrive également que des individus puisent des ressources dans l’environnement qui est le leur sans que celles-ci aient été pensées en ce sens. Les pratiques d’entraide et d’échanges informels en sont une bonne illustration. Il est donc possible d’affirmer que le potentiel capacitant des environnements de travail ne réside pas uniquement dans des espaces organisés, mais également dans les espaces informels de l’organisation. (Fernagu-Oudet, 2012, p. 212)

 

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6.8  Tenir en compte les zones proximales de développement

Une des conditions essentielles d’un environnement de travail protégeant suffisamment le sentiment d’efficacité personnel pour susciter l’ouverture aux changements et à l’apprentissage se rapporte à la notion de zone proximale (prochaine) de développement (Vygotski, 1997). Reconnaître que l’environnement de travail devrait générer le questionnement et l’ouverture à la transformation de l’action ne produisant pas les résultats attendus, c’est aussi reconnaître que les actrices et les acteurs concernés, en situation de déséquilibre discernée ou non, ont besoin d’une forme ou d’une autre de soutien pour remodeler leur action et réaménager leur théorie personnelle d’action. Toutefois, si pour les actrices et les acteurs le changement de pratique requis pour rétablir l’équilibre leur semble hors de portée, ils hésiteront à s’engager dans des activités d’apprentissage; ils résisteront ou décrocheront passivement. Se sentant en dehors d’une zone d’apprentissage leur étant accessible, ils ne porteront pas un projet personnel d’apprentissage, et ce, même s’ils sont contraints à participer aux activités de formation et d’apprentissage prévues pour eux.

A contrario, si le changement de pratique requis leur apparaît accessible avec un soutien ou une aide présente, un projet de transformation de leur pratique pourra naître; ce soutien pouvant prendre plusieurs formes : contact avec des savoirs et des modèles nouveaux, entraide entre collègues dans la résolution de problèmes, accompagnement individuel, communauté de pratique…

La zone proximale de développement

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Pour chacun des individus, la distance à franchir pour développer un savoir agir spécifique est variable et, conséquemment, le support à l’apprentissage à fournir doit aussi varier. Pour certains, quelques activités formelles de formation suffiront alors que pour d’autres, un dispositif plus élaboré, tel un accompagnement sous la forme, par exemple, d’un coaching ou de co-développement sera requis. Les pilotes doivent, d’une part, veiller à ce que les cibles d’apprentissage apparaissent atteignables aux yeux des actrices et des acteurs : transformer l’ensemble de sa pratique d’enseignement en y intégrant, de façon soutenue, l’enseignement explicite ou encore l’enseignement stratégique peut paraître inaccessible alors que l’expérimenter avec retour d’expérience, pour une matière donnée et dans un nombre limité de leçons, peut paraître cette fois accessible. Ils doivent, d’autres parts, mettre en place, en termes de soutien, un ensemble de mesures qui se complètent les unes avec les autres afin d’offrir le support requis pour chaque individu, par exemple : des sessions de formation étant assorties d’accompagnement personnalisé, des groupes de résolution de problèmes associés à des visites d’école proposant des solutions reconnues performantes aux problèmes à affronter, l’expérimentation d’une approche nouvelle dans une matière donnée soutenue par un chercheur dans le cadre d’une recherche-action…

 

Contribution des participantes et participants

Vous êtes invités à commenter et enrichir les documents par vos commentaires, des observations sur votre pratique et votre contexte de pilotage.