Pour un établissement qualifiant
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Livre: | Pour un établissement qualifiant |
Imprimé par: | Visiteur anonyme |
Date: | samedi 23 novembre 2024, 14:03 |
Table des matières
- 6.2 «Jardiner» un environnement d’apprentissage professionnel et organisationnel
- 6.3 Piloter un établissement qualifiant
- 6.4 Susciter une autorégulation des actions
- 6.5 Générer l’apprentissage par différentes boucles
- 6.6 Instituer des activités de professionnalisation
- 6.7 Miser sur les apprentissages tant formels que nonformels et informels
- 6.8 Tenir en compte les zones proximales de développement
- Partage de savoir
6.2 «Jardiner» un environnement d’apprentissage professionnel et organisationnel |
Pouvons-nous concevoir une organisation, tel un établissement, qui aménage ses actes sans recourir à des savoirs? Évidemment non, car chacun des actes est fondé, d’une façon ou d’une autre, tacitement ou explicitement, sur des savoirs quelconques : les savoirs enseigner, les savoirs éduquer, les savoirs gérer, les savoirs étudier… Reconnaissons que toutes les opérations de l’établissement liées à l’enseignement, à la gestion des personnes et des groupes, au soutien au parcours scolaire et à la gestion des ressources matérielles et financières se fondent sur les savoirs de ses actrices et de ses acteurs et sur leur capacité à le questionner et à le renouveler pour agir avec efficacité dans des réalités complexes en transformation. Ces savoirs ne sont pas figés, ils se construisent à même les actes posés à travers des processus de perception, de sélection et d’attribution de sens à ces actes en fonction de l’environnement dans lequel ils sont posés :
Pour Weick (1995), ces processus à partir desquels les actes sont posés, au-delà des structures de fonctionnement les encadrant, sont l’essence même de l’organisation; une organisation vue comme un processus cognitif en constante adaptation à son environnement. Dans ces processus cognitifs, les actrices et les acteurs perçoivent leur situation d’action. Pour y agir, ils sélectionnent des routines intériorisées lorsque celles-ci leur paraissent appropriées au cas contraire, ils tentent de concevoir de nouveaux programmes d’action plus pertinents. À travers ces processus, un sens aux actes menés est attribué. Cette construction de sens peut-être plus ou moins collective selon le niveau de socialisation des savoirs présents entre les actrices et les acteurs. Nous associons cette construction de sens individuel et collectif, ce avoir en acte, à l’intelligence organisationnelle. Piloter le sous-système de l’intelligence c’est dynamiser les processus cognitifs d’organisation en créant et en entretenant, comme un jardinier, un environnement d’apprentissage – une écologie de l’apprentissage. Dans cet environnement, les actrices et les acteurs pourront actualiser leur répertoire d’actes en fonction de leurs situations d’action reconnues en continuelle transformation. Ce pilotage s’inscrit dans deux perspectives à la fois distingues et complémentaires (Davel, Tremblay, 2011) :
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Dans d’autres systèmes scolaires nationaux, en fonction de leur structure de gouvernance, la responsabilité du pilotage du sous-système de l’intelligence organisationnelle des établissements peut être attribuée à différentes catégories d’actrices et d’acteurs : inspections, conseillers du réseau d’appartenance, directions de services, directions d’établissement… Dans certains cas, le choix des activités de formation est un droit et une prérogative individuels de chaque enseignante et enseignant. Quel que soit les rôles de ceux et de celles qui pilotent ce sous-système et le cadre légal dans lequel ils agissent, ils se doivent tenir en compte l’écologie de l’apprentissage présent dans l’établissement afin d’y susciter, introduire et y supporter des activités qui généreront chez ses actrices et acteurs une autorégulation individuelle et collective des pratiques (Cosnefroy, 2011). Cette autorégulation permettant une ouverture à l’amélioration et aux apprentissages est essentielle au développement du savoir professionnel et organisationnel. |
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6.3 Piloter un établissement qualifiant |
La qualification se rapporte au développement de l’agir compétent chez les individus et les groupes et à leur performance dans leurs activités de travail. Un établissement qualifiant développe chez son personnel la capacité à faire face aux imprévus, aux dysfonctionnements et aux difficultés. |
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De la formation pour le travail à la formation par le travail La voie traditionnelle dans une organisation pour développer les savoirs chez les membres de son personnel est de les diriger vers des activités de formation programmées (que nous qualifierons plus loin de formelles) dans un contexte éloigné de leur pratique; des activités souvent réalisées à l’extérieur de l’organisation. Dans les organisations scolaires, cette voie traditionnelle se retrouve souvent dans des offres de formation dans le cadre des journées régionales. Toutefois, les impacts d’un tel type de formation semblent relativement ténus. Roussel (2011, p. 1) rapporte qu’il est estimé que seulement « entre 10 % et 20 % des activités de formation en milieu organisationnel font l’objet d’un transfert durable ». Ce type d’activité, que nous pourrions qualifier de formation pour le travail, ne semble pas, en soi, des plus productifs.
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Même si la formation pour le travail demeure une avenue à privilégier dans certaines circonstances, la formation par le travail, fondée sur les activités de travail et les expériences (Davel, Tremblay, 2011) s’avérerait souvent plus performante en ce qui concerne leur ’impact surtout dans le cas de pratiques complexes comme celle de l’enseignement.
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6.4 Susciter une autorégulation des actions |
Le pilotage de l’établissement est une affaire de régulation d’un fonctionnement en boucles en vue de l’atteinte des destinations établies, soit les résultats visés. Ainsi, une recherche d’efficacité est réalisée à travers des boucles rétroactives de retour d’informations entre les résultats obtenus, les actions accomplies, les intentions poursuivies et les analyses de situation réalisées; ces boucles étant source d’adaptation organisationnelle(Bouvier, 2009). Par exemple, un établissement interrogera ses actions d’encadrement des élèves à la lumière d’un écart entre les cibles de diminution des références d’élèves pour des comportements inacceptables et le nombre effectif de références obtenu afin d’explorer des correctifs à apporter. Qu’en est-il de l’efficacité individuelle des actrices et des acteurs? Pour eux, qu’ils soient enseignantes, enseignants ou autres, la recherche de l’efficacité de leurs actions recourt au même type de fonctionnement en boucles rétroactives. Par de telles boucles, ils interrogent des résultats insatisfaisants au regard des actions qu’ils accomplissent, de leurs intentions et des analyses préalables qu’ils ont réalisées. Ces interrogations mèneront, si jugées nécessaires, à des ajustements dans leur processus d’action pour réduire les écarts entre les résultats visés et les résultats obtenus. Dans un retour à soi, à ses actions, à ses intentions et à ses compréhensions de situation, à travers une auto-observation de sa pratique et de ses résultats, l’individu et l’équipe créent une ouverture aux changements de pratique. Cette ouverture aux changements à travers une autorégulation est essentielle à l’apprentissage. Sans une disposition à l’autorégulation, il n’y aura pas d’apprentissage et toute activité de formation, quelle que soit sa forme, demeurera caduque. |
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Partant de l’illustration ci-dessus du processus d’action, observons cette dynamique d’autorégulation chez un individu ou même dans un groupe. Si, à la suite des actions accomplies, les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous et qu’un écart entre ses intentions initiales et les résultats obtenus apparaît, il y a une incohérence entre ce que l’individu ou le groupe estimait pouvoir obtenir et ces résultats observés. Au regard de l’efficacité d’action, il y a erreur d’action entre la compréhension de la situation initiale, les résultats recherchés, les actions exécutées et les résultats obtenus. Sur ce plan cognitif, une dissonance apparaît entre le savoir d’action mis en actes (la théorie ou le modèle d’action) et le constat de l’inefficacité des actions accomplies. Cette dissonance cognitive crée un inconfort et un déséquilibre chez l’individu ou le groupe. Il y a alors un effort, par des mécanismes d’ajustement plus ou moins conscient, pour rétablir cet équilibre soit :
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Cosnefroy (2011, p. 26) indique que l’ouverture à l’autorégulation des actrices et des acteurs à une remise en cause de leurs processus et théorie d’action est variable, car elle est le fruit « d’une transaction entre le sujet doté d’une personnalité et porteur de compétences, et une situation donnée »; transaction où jouent à la fois le sentiment d’efficacité personnelle, la motivation à apprendre et les conditions facilitantes en place dans l’environnement de travail et d’apprentissage. |
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Un pilotage du sous-système de l’intelligence organisationnelle vise à créer un environnement de travail qui soit aussi un environnement d’apprentissage. Dans un tel environnement, les actrices et les acteurs, en tant que sujets apprenants, transigent de façon ouverte, consciente et créatrice avec leurs situations de pratique pour choisir les actions appropriées aux résultats recherchés. Lorsque ces résultats ne se produisent pas, ils sont incités et soutenus à reconnaître les erreurs d’action et à explorer de nouvelles pistes d’actions. |
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Les pilotes « jardiniers » préoccupés de l’efficacité de leur établissement auront à créer un environnement de travail non seulement propice aux remises en question en fonction des résultats obtenus, mais qui offrira aussi aux individus et aux groupes des conditions favorables à l’exploration des zones d’ombre de l’inefficacité suscitant leur motivation à apprendre en protégeant, un tant soit peu, leur sentiment d’efficacité personnel et collectif. La création de cet environnement d’apprentissage interpelle tous les sous-systèmes de pilotage: |
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6.5 Générer l’apprentissage par différentes boucles |
Revenons à l’autorégulation et à un fonctionnement en boucles par lesquelles les actrices et les acteurs apprennent et apportent des modifications à leur processus d’action. Dans ce fonctionnement, nous reconnaissons des apprentissages en simple boucle et en doubles boucles d’apprentissage (Argyris et Schön, 2002) se produisant lorsque les actrices et les acteurs perçoivent un écart entre les résultats projetés et les résultats obtenus.
Voici une autre illustration de ces boucles simples et doubles d’apprentissage. La boucle simple génère un changement au niveau de l’action en tant que telle. Lorsqu’il y a un écart entre les résultats souhaités et ceux obtenus, la première réaction est d’apporter ce type de changement en modifiant l’action : faire plus de la même chose ou chercher à la faire mieux. Si l’écart persiste, parfois après plusieurs tentatives d’amélioration de l’action, alors un changement au niveau de la conception de l’action prend place : faire autre chose. |
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Nous avons présenté ces conceptions de l’apprentissage dans et sur la pratique associée à l’autorégulation et aux boucles d’apprentissage afin d’illustrer sa complexité et mettre en évidence le défi pour les pilotes que représente la création d’un environnement de travail favorable à l’apprentissage individuel et collectif. Trop souvent, les gestionnaires abordent les besoins d’apprentissage de leurs personnels, enseignantes et enseignants ou autres, selon un modèle traditionnel de programmation de sessions d’enseignement. Avec cette unique approche du « catalogue d’activités de formation », l’environnement d’apprentissage créé demeure relativement pauvre au regard de la variété des aménagements et des conditions requises pour susciter des apprentissages réels et le développement des compétences chez les actrices et les acteurs. Au-delà de la compréhension fine des processus en simples et en doubles boucles d’apprentissage, ce qui est à retenir c’est la nécessité pour les pilotes de mettre en place un ensemble de moyens, complémentaires les uns aux autres, afin de susciter des apprentissages dans et par l’action; un apprentissage par le travail. À ce titre, Morgan (2003) indique quatre lignes de conduite d’une approche de gestion et de pilotage orientées vers l’apprentissage. |
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6.6 Instituer des activités de professionnalisation |
Un établissement qualifiant est un établissement qui crée un environnement suscitant le développement de l’agir compétent dans une perspective de professionnalisation, principalement de ses enseignantes et de ses enseignants. Si cette professionnalisation permet la consolidation d’une identité collective de référence, elle favorise surtout le développement d’un savoir agir dans des situations de pratique à la fois incertaines et complexes (Pelletier, 2010). Cette professionnalisation repose avant tout sur un engagement personnel dans des parcours d’apprentissage individuel ou collectif qui, sur le plan organisationnel, est supportée par une offre « de professionnalisation » à travers une variété d’activités (Le Boterf, 2007; Davel, Tremblay, 2011). Selon Le Boterf (2007), trois types d’actions permettent le développement des compétences :
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En fonction de ces trois types d’actions devant être complémentaires dans un environnement d’apprentissage, voici, à titre d’illustration, des exemples d’activités dans chacun des types :
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Cette proposition de Le Boterf, démontrant l’importance de ces trois types d’actions dans le développement des compétences, met une fois de plus en lumière la pauvreté d’un environnement de travail et d’apprentissage qui a recours uniquement à des activités formelles de formation : « une simple offre d’actions de formation ne peut répondre aux exigences de professionnalisation », nous dit-il (Le Boterf, 2007, p. 78). |
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6.7 Miser sur les apprentissages tant formels que non formels et informels |
Les apprentissages réalisés dans les activités de formation pour le travail et dans les activités de formation par le travail se retrouvent sur un continuum entre des apprentissages de nature formelle et des apprentissages de nature informelle. Ce continuum est établi en fonction de quatre caractéristiques : le contrôle de la démarche; l’emplacement et le cadre des activités; le but et le contenu. Voici un tableau qui les illustre. |
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Dans ce continuum, entre les pôles formel et informel, plusieurs auteurs insèrent des apprentissages dits non formels, car certaines de leurs caractéristiques peuvent être de nature formelle et d’autres de nature informelle (Observatoire compétences-emplois, 2013).
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De plus en plus, les organisations introduisent des activités d’apprentissage nonformel dans l’environnement d’apprentissage qu’elles créent estimant qu’elles sont plus performantes au regard du transfert : coaching, communauté de pratique, codéveloppement professionnel… Dans les écoles, les services régionaux et les réseaux scolaires, la tendance à l’implantation de communautés d’apprentissage et de communautés d’apprentissage professionnel correspond bien à cette mouvance. Au-delà des distinctions théoriques à faire entre les trois types d’apprentissages, la question pour le pilotage est de veiller à ce que le travail des enseignantes et des enseignants ainsi que des autres personnels suscite chez eux des apprentissages qui produiront des changements effectifs dans leur pratique. Nous avons vu qu’un modèle fondé sur la formation pour le travail, recourant uniquement à des activités de nature formelle, a peu d’impacts à moyen et à long terme sur les pratiques, et ce, particulièrement pour des pratiques complexes comme celles de l’enseignement. Le travail lui-même s’avère être une source de développement du savoir agir en contexte. Trop souvent, les initiatives de formation sont isolées les unes des autres et ne s’inscrivent pas dans la recherche d’un environnement d’apprentissage global. |
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6.8 Tenir en compte les zones proximales de développement |
Une des conditions essentielles d’un environnement de travail protégeant suffisamment le sentiment d’efficacité personnel pour susciter l’ouverture aux changements et à l’apprentissage se rapporte à la notion de zone proximale (prochaine) de développement (Vygotski, 1997). Reconnaître que l’environnement de travail devrait générer le questionnement et l’ouverture à la transformation de l’action ne produisant pas les résultats attendus, c’est aussi reconnaître que les actrices et les acteurs concernés, en situation de déséquilibre discernée ou non, ont besoin d’une forme ou d’une autre de soutien pour remodeler leur action et réaménager leur théorie personnelle d’action. Toutefois, si pour les actrices et les acteurs le changement de pratique requis pour rétablir l’équilibre leur semble hors de portée, ils hésiteront à s’engager dans des activités d’apprentissage; ils résisteront ou décrocheront passivement. Se sentant en dehors d’une zone d’apprentissage leur étant accessible, ils ne porteront pas un projet personnel d’apprentissage, et ce, même s’ils sont contraints à participer aux activités de formation et d’apprentissage prévues pour eux. A contrario, si le changement de pratique requis leur apparaît accessible avec un soutien ou une aide présente, un projet de transformation de leur pratique pourra naître; ce soutien pouvant prendre plusieurs formes : contact avec des savoirs et des modèles nouveaux, entraide entre collègues dans la résolution de problèmes, accompagnement individuel, communauté de pratique… La zone proximale de développement
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Pour chacun des individus, la distance à franchir pour développer un savoir agir spécifique est variable et, conséquemment, le support à l’apprentissage à fournir doit aussi varier. Pour certains, quelques activités formelles de formation suffiront alors que pour d’autres, un dispositif plus élaboré, tel un accompagnement sous la forme, par exemple, d’un coaching ou de co-développement sera requis. Les pilotes doivent, d’une part, veiller à ce que les cibles d’apprentissage apparaissent atteignables aux yeux des actrices et des acteurs : transformer l’ensemble de sa pratique d’enseignement en y intégrant, de façon soutenue, l’enseignement explicite ou encore l’enseignement stratégique peut paraître inaccessible alors que l’expérimenter avec retour d’expérience, pour une matière donnée et dans un nombre limité de leçons, peut paraître cette fois accessible. Ils doivent, d’autres parts, mettre en place, en termes de soutien, un ensemble de mesures qui se complètent les unes avec les autres afin d’offrir le support requis pour chaque individu, par exemple : des sessions de formation étant assorties d’accompagnement personnalisé, des groupes de résolution de problèmes associés à des visites d’école proposant des solutions reconnues performantes aux problèmes à affronter, l’expérimentation d’une approche nouvelle dans une matière donnée soutenue par un chercheur dans le cadre d’une recherche-action… |
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