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Les personnes s’évaluent

Titre du livre

Site: Pilotage de l'établissement
Contenu: Pilotage de l'établissement
Livre: Les personnes s’évaluent
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: samedi 23 novembre 2024, 14:10

5.4  Varier les responsabilités évaluatives

Les responsabilités accordées aux actrices et aux acteurs dans l’exercice du jugement de valeur peuvent prendre trois configurations selon le niveau d’autonomie qui leur est accordé dans l’évaluation. Voici ces trois configurations :

 

Évaluation autonome

L’évaluation est réalisée par les actrices et les acteurs des actions et pour lesquelles ils rendent des comptes.

Évaluation mixte

L’évaluation est réalisée par les actrices et les acteurs des actions et des membres de la direction ou leurs représentantes et leurs représentants.

Évaluation hétéronome

L’évaluation des actions est réalisée par les membres de la direction ou leurs représentantes et leurs représentants.

 

Les pilotes, en fonction des objets d’évaluation, de leur contexte, des actrices et des acteurs en cause accordent à ceux-ci plus ou moins d’autonomie dans l’exercice du jugement évaluatif. Le niveau d’autonomie accordé se rapporte au degré de participation qui sera consenti dans cet exercice. Au moment où l’évaluation devient « en elle-même une politique et un mode de régulation des systèmes éducatifs » (Dupriez, Franquet, 2013, p. 23), cette question de la participation à l’évaluation se pose avec acuité. Quel niveau de participation permettra d’optimiser l’impact de l’évaluation sur l’amélioration de la qualité recherchée; quel niveau de participation permettra d’optimiser l’effet établissement? À ce titre, le modèle des types de participation à la prise de décision peut être une référence pour guider les choix des pilotes au regard de la responsabilisation recherchée et du niveau de participation accordée dans l’exercice du jugement évaluatif.

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Les membres du personnel — les enseignantes et les enseignants en particulier — dans leur ensemble ou par le biais de comités de porte-paroles seront-ils informés, consultés, codécideront-ils ou décideront-ils :

Les réponses à ces questions indiqueront le niveau de responsabilité qui sera accordé dans l’exercice du jugement évaluatif.


[1] Les modalités et responsabilités au regard de la collecte de données seront approfondies dans le module traitant du sous-système de veille.

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Illustrations

  • L’équipe d’enseignantes et d’enseignants qui interviennent auprès des élèves sortis de classe produit, de façon autonome, en milieu et à la fin de l’année des statistiques sur le nombre de sorties, les types de comportements répréhensibles, les récidives et leurs interventions. À la lumière de ces données, l’équipe établit des constats d’évaluation et, s’il y a lieu, formule des recommandations.
  • À partir des résultats à des tests et à des examens standardisés et réalisés par le ministère (hétéronome) les équipes-cycles, avec la direction, portent un jugement (mixte) sur les apprentissages de leurs élèves en comparant leurs résultats d’une classe à l’autre et d’une école à l’autre.

  • À partir d’indicateurs et de cibles établis conjointement entre une direction adjointe et une équipe-cycle à propos de l’introduction d’une méthode d’enseignement de résolution de problèmes, une évaluation mixte de l’implantation de cette méthode est réalisée.

  • Une instance régionale (commission scolaire, académie...), en comparant les résultats se rapportant aux cibles de sa convention avec le ministère à celles établies dans les conventions avec les établissements, réalise une évaluation de la performance de chacune de ses établissements et produit ainsi une évaluation hétéronome des écoles.

  • À partir d’indicateurs qu’elle a établis, une équipe de direction évalue l’usage des tableaux interactifs pour apporter du feedback sur cet usage auprès des enseignantes et des enseignants.
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5.5  Composer avec le facteur P (personne)

L’évaluation en tant qu’exercice de jugement sur les pratiques interpelle les personnes dans leur sentiment de compétence personnelle, dans leur agentivité; par agentivité nous entendons la « représentation qu’ont les agents de leur capacité à agir pour faire advenir les évènements souhaités » (Bronckart, 2004, cité par Bernard, 2013). Étant donné la nature de la pratique des enseignantes et des enseignants — où la réussite appartient à un tiers soit l’élève, un élève capable autant d’adhésion que de résistance - leur sentiment d’avoir la capacité d’obtenir les résultats escomptés peut être facilement ébranlé : « l’élève peut donc mettre en échec l’enseignant, sans que les compétences de ce dernier soient forcément reprochables » (Bernard, 2013, p. 56). Ce facteur de fragilité identitaire est à tenir en compte dans les interventions de pilotage de l’évaluation.

Nous empruntons à Saint-Arnaud (1995) la notion du facteur P, du facteur lié aux attitudes, aux comportements et aux réactions de « la personne » à considérer dans les interactions professionnelles. Les pilotes qui interviennent pour mettre en place des pratiques et des dispositifs d’évaluation dans leur établissement, particulièrement auprès des enseignantes et des enseignants, doivent certes tenir compte de ce facteur face aux enjeux de reconnaissance, de sentiment de compétence personnelle et de construction de sens inhérents aux situations d’évaluation. La prise en compte de ces enjeux est fondamentale dans la mise en place d’exercices de jugement évaluatif propices à l’engagement et à l’amélioration des pratiques.

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Notre hypothèse, basée sur la compréhension de l’investissement subjectif des enseignants dans leur travail, nous conduit à un regard critique sur l’effet de ces évaluations, parce qu’elles questionnent des éléments centraux de cet investissement. Elles sont une menace pour l’agentivité, une source de méconnaissance sur le travail réel de l’enseignant, elles participent à une confusion de rôle à tenir et menacent la construction du sens de l’activité quotidienne. Au pire, elles peuvent avoir un impact négatif, pouvant accentuer l’épuisement ou le désengagement, voire la démission. Et, dans tous les cas de figure, l’intensification de routines défensives au niveau des établissements risque non seulement de neutraliser les éventuelles avancées en terme d’atteinte des objectifs, mais de rendre plus difficile encore les interventions pour améliorer la qualité des enseignements et le développement professionnel des enseignants. Il reste donc du chemin à parcourir pour pouvoir proposer des procédures efficientes permettant une amélioration du fonctionnement de l’école tout en apportant aux enseignants un surplus de reconnaissance et d’agentivité, une clarification des rôles attendus et la possibilité de construire du sens dans cette période d’intensification et de complexification du travail enseignant. (Bernard, 2013, p. 62)

Face aux injonctions croissantes relatives à la multiplication des exercices d’évaluation, il peut être difficile pour les pilotes d’établissement de maintenir un équilibre entre une réponse à fournir à ces injonctions en termes de reddition de comptes et les nécessaires adaptations à apporter à ces exercices afin qu’ils génèrent la mobilisation des personnes à tendre vers l’amélioration recherchée.

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Illustration

Au regard de cibles de réussite convenues, une direction décide, comme pratique d’évaluation d’une cible particulièrement délicate à aborder avec les enseignantes et les enseignants, de mener une « évaluation appréciative » à travers des activités de partage de bons coups et des actions d’enseignement menées et estimées les plus efficaces par les enseignantes et les enseignants

 

 

5.6  Développer une culture de l’évaluation

L’évaluation s’inscrit dans un fonctionnement systémique en boucles, des boucles rétroactives d’amélioration de la qualité suscitant la régulation de l’établissement. À ce titre, le développement de pratiques et de dispositifs d’évaluation est une des préoccupations majeures des pilotes cherchant à optimiser « l’effet établissement » en fonction d’une destination donnée. Au-delà des opérations de reddition de comptes, une évaluation au service de l’amélioration est avant tout un exercice de réflexion dans l’action afin de l’infléchir vers l’amélioration des apprentissages et de l’éducation. Dans cette perspective d’amélioration, reconnue par plusieurs comme relevant davantage de la mobilisation des actrices et des acteurs et d’actions innovantes que de changements structurels, l’enjeu est le développement chez ceux-ci « d’habitudes et de moyens pour réfléchir à leurs actions » (Rochex, 1998, p. 2) : le développement d’habitudes et de pratiques d’autorégulation.

Piloter l’établissement selon cette préoccupation, c’est intervenir de façon constante afin que ses actrices et ses acteurs développent cette habitude de porter, de façon explicite, un jugement individuel et collectif sur leurs actions et les effets produits sur les apprentissages des élèves. Piloter, c’est intervenir pour le développement d’une culture de l’évaluation dans l’établissement.

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Par la culture d’évaluation, on entend le fait d’examiner en équipe les résultats des élèves, de s’interroger sur les facteurs qui les ont conditionnés, de formuler des hypothèses d’action, de les réajuster en cours de route et même de dégager de cette activité systématique ses propres besoins de perfectionnement, de telles opérations prennent place dans leur école, mais il ne s’agit pas d’un automatisme  [...]. (Jobin, 2002, p. 39)

Dans cette perspective, l’évaluation ne porte pas uniquement sur un nombre limité d’objets en fonction des cibles conventionnées; elle concerne l’ensemble des objets d’action de l’école. Un pilotage ne devrait-il pas constamment susciter un questionnement évaluatif au regard de l’ensemble des actions de l’école pour en apprécier :

  • leur efficacité au regard des résultats;
  • leur efficience au regard des ressources imparties;
  • leur pertinence au regard de la cohérence entre les objectifs poursuivis et les finalités de l’établissement?

Dans une telle optique de culture d’évaluation, le questionnement et l’appréciation de la valeur des actions et de leurs résultats sont non seulement formels, avec des indicateurs précis et des collectes de données organisées, mais ils sont aussi informels à partir d’indicateurs et d’informations plus spontanément partagés. L’enjeu du pilotage du sous-système d’évaluation est la multiplication, de façon formelle et informelle, de boucles de rétroaction. Avec l’implantation d’une gestion par résultats souvent conventionnée, n’y a-t-il pas un risque de limiter les préoccupations d’évaluation des pilotes aux seuls dispositifs formels d’évaluation liés à la reddition de comptes? Cette simplification des pratiques d’évaluation s’avérerait peu appropriée à la complexité des actions de l’établissement et à la grande diversité de ses objets d’action. La visée d’amélioration de la qualité des systèmes d’éducation à travers les dispositifs formels de convention et de reddition de comptes incite certes à mieux articuler leurs composantes (indicateurs, cibles et modalités de cueillette). Toutefois, ce dispositif formel ne peut couvrir l’ensemble des actions d’un établissement. Nous pouvons même supposer que les gains d’efficacité de l’enseignement et l’augmentation de l’effet établissement, s’appuyant sur des dispositifs formels bien articulés, ne pourront pas porter fruit s’ils ne sont pas croisés avec une variété de pratiques d’évaluation informelle multipliant les boucles de rétroaction.

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♣  Exemples de pratiques formelles : élaboration de cibles conventionnées et appréciation de l’atteinte de ces cibles; révision systématique de la politique d’encadrement des élèves; élaboration des cibles du plan de réussite et appréciation de l’atteinte de ces cibles.

♣  Exemples de pratiques informelles : un pilote interroge l’état des travaux d’un comité au regard de ses cibles auprès de certains de ses membres; un pilote assiste à la dernière réunion du comité d’organisation du bal de fin d’année afin de participer à son appréciation et à la formulation de recommandations pour le prochain bal; une pilote interroge les membres participant à une réunion sur son déroulement et son efficacité.


La multiplication des pratiques formelles et surtout informelles d’évaluation générera des routines d’évaluation dans lesquelles les actrices et les acteurs éprouveront de plus en plus de confort à construire collectivement des jugements sur leurs actions.

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Illustration

Lorsqu’une approbation est sollicitée à propos d’une activité extraordinaire, il est d’usage de formuler, dans la proposition soumise par les enseignantes et les enseignants, des signes de succès à observer dans cette activité et de les lier aux finalités du projet éducatif de l’école. À la suite de la réalisation de l’activité, ces enseignantes et ces enseignants font rapport de l’activité à partir d’une appréciation de celle-ci selon les signes de succès avancés

Contribution des participantes et participants

Vous êtes invités à commenter et enrichir les documents par vos commentaires, des observations sur votre pratique et votre contexte de pilotage.