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Les personnes s’évaluent


5.5  Composer avec le facteur P (personne)

L’évaluation en tant qu’exercice de jugement sur les pratiques interpelle les personnes dans leur sentiment de compétence personnelle, dans leur agentivité; par agentivité nous entendons la « représentation qu’ont les agents de leur capacité à agir pour faire advenir les évènements souhaités » (Bronckart, 2004, cité par Bernard, 2013). Étant donné la nature de la pratique des enseignantes et des enseignants — où la réussite appartient à un tiers soit l’élève, un élève capable autant d’adhésion que de résistance - leur sentiment d’avoir la capacité d’obtenir les résultats escomptés peut être facilement ébranlé : « l’élève peut donc mettre en échec l’enseignant, sans que les compétences de ce dernier soient forcément reprochables » (Bernard, 2013, p. 56). Ce facteur de fragilité identitaire est à tenir en compte dans les interventions de pilotage de l’évaluation.

Nous empruntons à Saint-Arnaud (1995) la notion du facteur P, du facteur lié aux attitudes, aux comportements et aux réactions de « la personne » à considérer dans les interactions professionnelles. Les pilotes qui interviennent pour mettre en place des pratiques et des dispositifs d’évaluation dans leur établissement, particulièrement auprès des enseignantes et des enseignants, doivent certes tenir compte de ce facteur face aux enjeux de reconnaissance, de sentiment de compétence personnelle et de construction de sens inhérents aux situations d’évaluation. La prise en compte de ces enjeux est fondamentale dans la mise en place d’exercices de jugement évaluatif propices à l’engagement et à l’amélioration des pratiques.

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Notre hypothèse, basée sur la compréhension de l’investissement subjectif des enseignants dans leur travail, nous conduit à un regard critique sur l’effet de ces évaluations, parce qu’elles questionnent des éléments centraux de cet investissement. Elles sont une menace pour l’agentivité, une source de méconnaissance sur le travail réel de l’enseignant, elles participent à une confusion de rôle à tenir et menacent la construction du sens de l’activité quotidienne. Au pire, elles peuvent avoir un impact négatif, pouvant accentuer l’épuisement ou le désengagement, voire la démission. Et, dans tous les cas de figure, l’intensification de routines défensives au niveau des établissements risque non seulement de neutraliser les éventuelles avancées en terme d’atteinte des objectifs, mais de rendre plus difficile encore les interventions pour améliorer la qualité des enseignements et le développement professionnel des enseignants. Il reste donc du chemin à parcourir pour pouvoir proposer des procédures efficientes permettant une amélioration du fonctionnement de l’école tout en apportant aux enseignants un surplus de reconnaissance et d’agentivité, une clarification des rôles attendus et la possibilité de construire du sens dans cette période d’intensification et de complexification du travail enseignant. (Bernard, 2013, p. 62)

Face aux injonctions croissantes relatives à la multiplication des exercices d’évaluation, il peut être difficile pour les pilotes d’établissement de maintenir un équilibre entre une réponse à fournir à ces injonctions en termes de reddition de comptes et les nécessaires adaptations à apporter à ces exercices afin qu’ils génèrent la mobilisation des personnes à tendre vers l’amélioration recherchée.

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Illustration

Au regard de cibles de réussite convenues, une direction décide, comme pratique d’évaluation d’une cible particulièrement délicate à aborder avec les enseignantes et les enseignants, de mener une « évaluation appréciative » à travers des activités de partage de bons coups et des actions d’enseignement menées et estimées les plus efficaces par les enseignantes et les enseignants