Imprimer ce chapitreImprimer ce chapitre

Le pilotage pour relier et réussir

1.6  Rechercher des effets levier

Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde.

Archimède

Dans notre perspective, la recherche d’une amélioration des apprentissage des élèves passe par des interventions à effet levier. Ces interventions, à la suite d’une analyse de système, ciblent les liens névralgiques, soit ceux qui sont les plus propices à créer ou à amplifier pour générer la dynamique d’amélioration recherchée. Étant donné l’interdépendance entre l’ensemble des composantes animées et inanimées de l’établissement, une intervention produisant un impact amplificateur sur une de ses composantes névralgiques aura un effet démultiplicateur sur ses autres composantes : un effet levier.

 

161

L’utilisation d’un levier vise à réaliser la plus grande économie de moyens : les meilleurs résultats viennent plus souvent de petites actions bien ciblées que d’efforts de grande envergure. Malheureusement notre difficulté à tenir un raisonnement systémique nous incite trop souvent à mettre en œuvre des actions à faible effet de levier : nous nous concentrons sur de simples symptômes alors que le problème touche le cœur du système (Senge, 1991, p 154).

Exercer un leadership de reliance

Au-delà d’une stricte implantation de pratiques éprouvées ailleurs ou même de pratiques dites « probantes » à importer, ce sont les interventions à effet levier sur la dynamique de reliance dans l’établissement qui sont les plus déterminantes. Pour les membres de la direction, les pilotes de l’établissement, cette recherche d’effet levier passe par des initiatives et un leadership de reliance - relier, être relié et se relier (Bolle de Bal, 2003)- fondé sur un « savoir relier » (Gauthier, 2014)

.

Le mot savoir désigne la connaissance, mais aussi, par extension, le savoir-faire, le savoir-être. Relier renvoie à la capacité de connecter, de créer ou de découvrir des rapports, de tisser des liens et, par extension, de compter sur les autres et soi-même…

Loin de nier les tensions ou la complexité, le savoir-relier en fait son miel. Il suppose de faire appel à un certain nombre de dimensions critiques du leadership comme la confiance, la résilience, l’agilité et le courage pour améliorer notre aptitude à naviguer dans le monde de plus en plus complexe et hautement relationnel dans lequel nous vivons. Également caractérisé par l’humilité et l’intuition, il reconnaît l’importance des relations humaines et la valeur de la diversité, considérées comme les ressorts de l’innovation et de la performance.  C’est un outil qui permet d’aborder et de gérer des problèmes complexes aux niveaux individuel, interpersonnel, organisationnel et institutionnel et sociétal.

Mais le savoir relier est avant tout un acte : l’acte d’établir des relations sensibles et durables entre de entités différentes ou divergentes afin de construire du sens, pour les individus comme pour les organisations. Développé au niveau individuel, le savoir-relier est une aptitude : les dirigeants utilisent leurs talents analytiques et émotionnels pour tisser des relations plus fortes et meilleures entre les membres de leur organisation. En s’appuyant sur leur intelligence sensible, ils créent aussi du sens et encouragent l’initiative et l’autonomie nécessaire au développement. Adopté à l’échelle de l’entreprise entière, le savoir-relier devient un état d’esprit qui génère une identité collective. (Gauthier, 2014, p.14.15)

Par ce leadership de reliance, les membres de la direction de l’établissement suscitent, encadrent et accompagnent des processus individuels et collectifs de construction de sens, d’attribution de significations partagées au regard des situations présentes, des finalités à établir, et des opérations à entreprendre et de résultats à observer. (Gauthier, 2014)

Nous abordons le pilotage de l’établissement en tant qu’exercice d’un leadership de reliance auprès des actrices et acteurs de l’établissement qui suscite de leur part des choix, le suivi et la régulation de leurs actions en fonction de finalités partagées : un pilotage qui organise une auto-organisation.

En reprenant les propos de Scheerens, nous reconnaissons un caractère « léger » à ce type de leadership qui tempère, selon lui, la tentation du contrôle et de « trop de management » (2012). À ce titre, il met en garde contre une littérature sur le leadership scolaire qui, dans une logique où l’établissement est vu comme une bureaucratie professionnelle, peut être prompte à promouvoir des pratiques de gestion jugées universellement efficaces.  Dans cette promotion de pratiques reconnues probantes, l’accent est porté sur les savoirs d’action à activer par les directions – les best practices- indépendamment des dynamiques d’organisation dans lesquels ils oeuvrent; indépendamment des auto-organisations dans lesquelles ils interviennent pour y activer les reliances. À la tentation de contrôle par l’application de gestes professionnels formatés, il oppose des gestes de «méta-contrôle» où l’accent est mis sur des interventions appropriées aux auto-organisations à dynamiser.

162

On assiste ainsi à une tendance pour faire du management une activité spécialisée qui serait essentiellement fondée sur la « maîtrise d’outils ». Fortement jargonnante, cette tendance la coupe de ses racines communes avec d’autres activités (former, éduquer, commander) et de son propre sens, car la préoccupation majeure devient la « bonne mise en œuvre » d’un outil. Croyant peut-être que les « bons outils font les bons ouvriers », et ce dans une comparaison bancale entre les outils industriels et les écrits du management, on fait comme s’ils pouvaient être coupés de la pensée qui les guide, des savoir-faire qui les mettent en œuvre et des rapports sociaux où ils s’inscrivent. Version moderne de la one best way de Taylor ? La prescription managériale des pratiques d’encadrement entame ainsi jusqu’à la capacité des managers de penser par eux-mêmes, à moins de s’en distancer. (Mispelblom Beyer, 2015 , p21)

Ce rôle pourrait être bien saisi avec le concept de «méta-contrôle», qui littéralement signifie le contrôle du contrôle. Le leadership scolaire en tant que méta-contrôle chercherait à exploiter pleinement le potentiel du leadership partagé, du leadership organisationnel et des substituts du leadership tout en conservant une vision globale du bon fonctionnement de l'ensemble. (traduction, Scheerens, 2012, p134)

Le travail théorique et les résultats des études empiriques soulignés dans ce rapport suggèrent que dans les situations « normales » des écoles moyennes, une gestion « allégée » pourrait suffire, ce qui permettrait une utilisation maximale des substituts disponibles et de l'auto-organisation  par le personnel de l'école et d'autres dispositions. Nous avons comparé ce type de gestion au « méta-contrôle », ce qui pourrait être interprété comme l'orchestration du contrôle par les autres acteurs de la scène scolaire (traduction, Scheerens, 2012, p146).

Le modèle systémique de pilotage que nous proposons se veut être un outil de référence offrant des repères pour guider l’exercice de l’influence auprès des actrices et des acteurs de l’établissement. Il propose le langage de son auto-organisation permettant d’y déceler des leviers organisationnels à activer pour y susciter et entretenir les reliances propices aux apprentissages des élèves. Chacun de ses sous-systèmes comporte de tels leviers.

 

Les leviers d’auto-organisation de l’établissement

163

Toutes les interventions des pilotes visent, d’une façon ou d’une autre, à ce que les activités de l’établissement s’opérationnalisent afin d’optimiser les apprentissages et de l’éducation de ses élèves. Si l’usage d’outils est essentiel à cette opérationnalisation, il n’en est pas l’essence. Quels que soient les outils proposés, aussi universels que souvent prétendus par leurs promoteurs, ils ne peuvent prédéterminer leur usage effectif, car cet usage émerge des reliances générées entre les composantes animées et inanimées de l’établissement se configurant selon les circonstances, les contingences, les intérêts, les finalités, les pouvoirs, les alliances, les possibles ...  Notre proposition «d'un langage» pour lire et interpréter, dans une approche systémique, la dynamique d’auto-organisation de l’établissement et y déceler des leviers est assortie d’un certain nombre d’outils, souvent à titre illustratif, permettant de concevoir et d’articuler des interventions de pilotage. De plus, au gré des contributions de collègues au site, s’ajouteront d’autres conceptions et outils souvent éprouvés dans des pratiques. Souhaitons que ces outils de lecture organisationnelle de l’établissement et d'intervention fondés sur des préoccupations de pilotage soient non pas des prêts à penser  et  à agir,  mais soient  suffisamment inspirants pour permettre aux pilotes des interprétations créatives de leur agir.