Pour un établissement apprenant

  6.10  Gérer le savoir organisationnel

Les pilotes cherchant à optimiser l’efficacité de l’établissement - l’optimisation passant largement par une amélioration des pratiques - auront la préoccupation du développement du savoir vu comme une ressource première de l’organisation; une ressource reconnue comme son « capital intellectuel ». À ce titre, le savoir devient un objet de gestion, une gestion d’une « ressource qui prend de la valeur en la partageant » comme l’indique Ballay (2002). Partant des écrits de Nonaka et Takeuchi (1997), cet auteur propose un modèle de gestion des connaissances s’appuyant sur quatre fonctions par lesquelles les organisations favorisent les conversions entre les savoirs tacites et explicites afin de créer et développer une répertoire de connaissances accessible pour leurs actrices et leurs acteurs. Ces quatre fonctions sont : la socialisation, le renouvellement, le transfert et la capitalisation des connaissances. Ballay (p. 89) les décrit ainsi :

Δ  Socialisation des connaissances : l’ensemble des échanges directs de savoirs, par communication interpersonnelle – en présence ou à distance -, collaboration et discussion. La socialisation est une condition nécessaire qui sous-entend les trois autres processus de renouvellement, de transfert et de capitalisation. C’est en quelque sorte un métaprocessus de la gestion des connaissances.

♣  Exemples : communauté d’apprentissage, groupe de résolution de problème, conception d’activités par les équipes, observation dans la classe de collègue.

Δ  Renouvellement des connaissances : l’ensemble des processus par lesquels la communauté critique, corrige, ajuste, voire réduit les connaissances existantes pour les renouveler aussi bien de manière progressive dans les façons de faire existantes- approche incrémentale - que par des innovations en rupture de ces les façons de faire.

♣  Exemples : identification en groupe d’améliorations à apporter aux pratiques d’enseignement d’une compétence, retour en groupe sur des expérimentations d’une nouvelle méthode, révision des pratiques évaluatives par une équipe-cycle.

Δ  Transfert des connaissances : l’ensemble des processus de distribution, d’accès, d’utilisation de connaissances, voire de combinaison et de transposition de savoirs, par lesquels les utilisateurs se les approprient et deviennent capables, à leur tour, de les re-créer en produisant leurs propres applications de celles-ci ou en créant de nouvelles connaissances – devenir propriétaire du savoir -.

♣  Exemples : Partage des «bons coups» et des réussites, visite d’une école qui a mis en place des pratiques porteuses de succès, retour collectif à propos d’une formation suivie pour explorer des expérimentations prochaines.

Δ  Capitalisation des connaissances : l’ensemble des processus par lesquels des informations et des connaissances sont répertoriées, évaluées, rassemblées, formalisées, codifiées, classifiées, commentées, synthétisées, de façon à constituer une base de connaissances.  (N.B. L’auteur indique concevoir la capitalisation comme « un menu à la carte » composé d’un ou de plusieurs de ces processus.)

♣  Exemples : fiches simples de consignation des projets réalisés, consignation de bilans d’expérimentation, répertoire électronique des documents produits dans l’établissement.

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Illustration

Deux enseignantes introduisent une nouvelle pratique d’enseignement des sciences de la nature dans leur classe. Au regard de la gestion des savoirs, elles rejoignent ses quatre  fonctions :

  • Tout au long de leur parcours, il y a socialisation des savoirs, car, au début, dans des activités d’un congrès elles ont été  en  contact avec un modèle d’enseignement inspirant; elles ont collaboré à la conception, préparation et réalisation d’activités à la lumière du modèle; subséquemment à leur expérience, elles ont apporté du soutien aux collègues de leur école qui souhaitaient recourir aux activités qu’elles avaient expérimentées avec succès, avec un conseiller pédagogique elles ont formalisé le savoir issu de leur expérimentation et, finalement, elles ont présenté ce  savoir à un  colloque sur la pédagogie de leur région.
  • Elles opèrent un renouvellement majeur dans leur pratique en s’appropriant un modèle éprouvé, en l’adaptant à leur réalité et en introduisant des façons de faire inédites dans leur pratique.
  • Elles mènent  plusieurs transferts: du modèle initial entendu  à leur pratique en classe, de leur nouvelle pratique  vers la pratique de leurs collègues de  l’école et finalement elle  communique leur nouveau savoir dans le  cadre d’un colloque.
  • Elles se sont affairés à formaliser leur  savoir dans une présentation et des documents pour le colloque que demeureront accessibles par la suite. Ainsi, des traces du projet sont consignées et les savoirs sont capitalisés et deviennent une ressource pérenne.

Contre exemple

Une secrétaire (unique dans une école primaire) est en poste depuis près de 18 années. Tout au long de ces années, elle a su intégrer une succession de nouvelles dispositions et de normes administratives (savoirs explicites) et aménager non seulement sa pratique, mais aussi le classement de la documentation administrative tant électronique que papier (savoirs tacites) afin de maintenir une grande efficacité dans l’exécution de ses tâches et dans les réponses qu’elle apporte aux multiples demandes qu’elle reçoit. Elle maîtrise parfaitement l’échéancier et le contenu des tâches de l’organisation scolaire de l’école (savoir tacite) et, à ce titre, elle est une contributrice précieuse pour les directions, souvent nouvellement en poste qui se fient à elle pour contrôler ces opérations administratives.

À la suite d’un diagnostic d’une grave maladie, la secrétaire quitte l’emploi subitement. La direction, nouvellement en poste au même moment, se retrouve en situation précaire face aux multiples opérations d’organisation scolaire et à l’ensemble des autres opérations administratives à mener. Comme les savoirs de cette organisation sont largement demeurés tacites, la direction et la nouvelle secrétaire, sans expérience, se retrouvent donc dans l’obligation de reconstruire un savoir à ce propos. La direction prend la résolution qu’elle veillera, dans le futur, à ce que la secrétaire de l’école formalise, dans des procéduriers et dans une nomenclature des documents, ses savoirs afin de les capitaliser pour l’organisation.

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