L’établissement en état de veille stratégique

7.2  Installer de la stratégie et des régulations

 

À travers la recherche d’efficacité de l'enseignement, c’est toute la régulation des systèmes scolaires et particulièrement celle des établissements, en tant que lieux de dispensation des services éducatifs, qui est interpellée. Une régulation distante et administrative dans une optique de gestion par la conformité, instaurée à partir de normes, de programmes et de standards généraux, fait de plus en plus de place à une régulation de proximité et de management à partir de projets et de contrats dans une optique de gestion par résultats. Bouvier (2007), en plaçant le projet collectif au cœur de cette régulation de proximité, met en garde contre le risque que les contrats ou conventions, vus comme outils de régulation et de pilotage, demeurent un instrument bureaucratique : « Le problème qui se rencontre aujourd’hui est de définir un projet collectif : souvent, on a des outils, mais pas de projets! » (p. 266). Rappelons la notion de régulation telle que nous l’avons introduite précédemment.

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La régulation

Dans le sens où le terme « régulation » a été employé jusqu’ici et où il le sera dans le reste de cet ouvrage, il s’entend au sein de systèmes humains engagés dans des projets d’actions collectives, accompagnés de mécanismes ad hoc. Il est étroitement lié à la gouvernance pratiquée. La régulation est une partie intégrante essentielle et caractéristique des systèmes et de leurs entités. En cybernétique, la régulation vise à établir des équilibres, à procéder à des réajustements par rapport à des normes ou à des objectifs, sur la base des informations obtenues par des mesures, par le biais de capteurs et d’indicateurs. (Bouvier, 2007, p. 186)

Une succession d’opérations visant à fixer un but et à orienter l’action vers celui-ci, contrôler la progression de l’action vers le but, assurer un retour sur l’action (un feed-back, une rétroaction), confirmer ou réorienter la trajectoire de l’action, et/ou redéfinir le but ». (Allal, 2007, p. 8)

Une question de stratégie

Le passage vers une gestion par les résultats interpelle un pilotage stratégique de l’établissement. Dans ce type de gestion, un contrôle a posteriori est exercé au regard des résultats obtenus. Ce contrôle s’inscrit dans une optique d’imputabilité et d’amélioration continue des services aux élèves. Le corollaire à cette recherche d’optimalisation des résultats est l’élaboration, par chacune des unités de service dont les établissements, d’une stratégie à travers son projet et ses plans d’action. Cette stratégie doit tenir compte de la réalité dans laquelle les unités œuvrent et des besoins des populations qu’elles desservent. Ainsi, dans la foulée d’une décentralisation annonçant un élargissement de leurs marges de manœuvre, les établissements s’éloignent graduellement d’une gestion en conformité avec les règles établies pour pratiquer une gestion stratégique des ressources qui leur sont confiées en fonction des besoins de leurs élèves et de leur communauté.

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Comme l’indique Gilbert (2009), une reddition de comptes sans finalités est un non-sens.

Sous-jacents à ce virage, se profilent trois principes de base : responsabilité, adaptation et apprentissage (Mazouz, Leclerc, 2008). L’imputabilité des unités de service est associée à un processus de responsabilisation où elles sont tenues responsables de leurs résultats et de leurs actes qu’elles doivent faire connaître et justifier. Une telle responsabilisation serait caduque sans marge de manœuvre effective. L’amélioration continue commande, de son côté, la mise en place et l’entretien de dispositifs d’adaptation et d’apprentissage engageant l’ensemble des actrices et des acteurs.

Passage d’une gestion de la conformité à une gestion stratégique

Des stratégies de commissions scolaires : un regard critique

À la suite d’une recherche-action réalisée avec des directions générales de commission scolaire (Boyer, 2009), plusieurs leçons sont tirées au regard des planifications stratégiques qu’elles ont menées dans leur organisation. Voici les principales leçons qui peuvent guider les établissements et leurs pilotes dans leur propre exercice de réflexion stratégique :

    • Éviter que la programmation d’activités domine la formation de la stratégie. « La stratégie n’est pas la conséquence de la planification, mais le contraire : son point de départ » nous rappelle Mintzberg (1994, p. 334). La préoccupation de production d’un plan, avec ses cases à remplir, peut facilement l’emporter au détriment d’une recherche d’intelligence partagée des situations et d’une cohérence autour de cibles stratégiques mobilisatrices.        
    • Éviter le trop grand nombre d’objets stratégiques et d’objectifs. Un trop grand découpage de la réalité en divers objectifs rend difficile pour les actrices et les acteurs d’attribuer à ceux-ci une signification globale et mobilisatrice et de focaliser sur les facteurs les plus déterminants, les « facteurs stratégiques » sur lesquels agir ensemble (Payette, 1993).
    • Établir une stratégie qui offre des repères pour guider les choix d’actions. L’enjeu entourant la stratégie, comme l’indique Avenier (1997), n’est pas tant « de prévoir l’avenir, mais de se préparer à y agir ».
    • Reconnaître que la stratégie est évolutive. Elle n’est pas enfermée dans un plan à mettre en œuvre selon une programmation statique d’activités pour laquelle des comptes sont à rendre à terme. Selon l’évolution des circonstances, la réalisation d’actions prévues et d’actions non prévues et les effets observés, les cibles stratégiques peuvent se préciser et la programmation d’actions évoluer. Avec Avenier (1997), nous retenons qu’il s’agit d’une stratégie évolutive, d’une « stratégie chemin faisant ».
    • Mettre en place un dispositif de veille pour soutenir la stratégie. Afin de composer avec les incertitudes de l’action et la complexité des situations, une « stratégie chemin faisant » doit être assortie d’un ensemble de moyens pour suivre l’évolution des situations, des actions et des résultats afin de fournir des informations permettant des adaptations de la stratégie.
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Grandeur et décadence de la planification stratégique : Mintzberg (1994)