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Pour un établissement apprenant

6.9  Piloter un établissement apprenant


Nous avons vu que l’établissement qualifiant se concentre sur le développement de l’agir compétent chez les individus et les groupes. Lorsque nous évoquons l’établissement apprenant, nous nous référons cette fois au développement des savoirs et des connaissances organisationnelles; à la capacité collective dans l’établissement de créer, d’acquérir et de transférer ses savoirs et ses connaissances et de modifier ses aménagements organisationnels et son fonctionnement à la lumière de ceux-ci (Garvin, 1993). Le titre du volume de Ballay (2002) portant sur la gestion du savoir dans les organisations est évocateur à ce propos en indiquant que le savoir est « la seule ressource qui prend de la valeur en la partageant ».

Des savoirs tacites et explicites

Reconnaissons d’entrée de jeu que l’établissement, en tant qu’organisation, est un construit cognitif :  les savoirs y sont essentiels. Arrêtons-nous, dans un premier temps, à la distinction entre les deux types fondamentaux de savoirs à partir desquels l’établissement, en tant que construit cognitif, s’élabore et se développe : les savoirs tacites et les savoirs explicites (Davel, Tremblay, 2011; Bouvier, 2001, Nonaka, Takeuchi, Ingham,1997).

Les savoirs ou les connaissances tacites relèvent des expériences personnelles, de l’intuition et de l’expérimentation. Ils sont associés à des contextes en particulier et se rapportent à un individu, un groupe ou à toute une organisation. Ils sont difficiles à formaliser et souvent les individus et les groupes qui les possèdent n’en sont pas conscients, car ils demeurent enfouis dans des mémoires opérationnelles. Ils sont partiellement communicables à l’oral. Ces savoirs sont « au service de l’innovation en contexte organisationnel » (Davel, Tremblay, 2011, p. 65).

♣  Exemples : les savoirs mobilisés pour faire du vélo, enseigner une leçon de science à un groupe d’élèves, tenir une réunion d’équipe, organiser une soirée de remise des bulletins aux parents…

Les savoirs ou connaissances explicites sont des savoirs formalisés, accessibles, souvent codifiés dans des documents et « se prêtant à la transmission écrite ainsi qu’à travers les multiples possibilités classiques qu’offre la formation : séminaires, sessions, études de cas… » (Bouvier, 2004, p. 82). Ce sont des savoirs décontextualisés et conceptuels avec une portée générale.

♣  Exemples : les théories physiques de l’équilibre des forces  applicables au vélo, la didactique de l’enseignement des sciences,  les théories psychosociales des petits groupes, les modèles de communication sociale…

Le savoir organisationnel est issu d’une interaction sociale entourant le savoir tacite et le savoir explicite dans un mouvement de conversion d’un savoir à l’autre (Nonaka et Takouchi,1997). « Cette conversion est alors un processus par lequel le tacite est transformé en explicite. Notamment au moyen des spirales d’interactions continues entre les individus, les équipes de travail et les organisations » (Davel, Tremblay 2011, p. 66).

Les pilotes, préoccupés du développement du savoir organisationnel dans leur établissement, interviendront auprès des individus et des groupes afin d’amplifier ce mouvement de conversion entre les savoirs tacites et les savoirs explicites et vice versa.  Leurs interventions permettront la formalisation, le partage et l’accroissement de ces savoirs au profit d’un enrichissement collectif au service de l’efficacité des actions ménées. Ils inciteront à des expérimentations à partir de savoirs formalisés, parfois en référence à des théories établies, où les savoirs explicites pourront être internalisés par les actrices et les acteurs et, par l’action, se transformer en savoirs tacites pour eux.

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Illustration

Deux enseignantes du deuxième cycle du primaire ont développé au cours des années une pratique d’enseignement des sciences de la nature qu’elles estiment efficace.

1.    Au début, à la suite d’une planification minutieuse, elles ont expérimenté quelques leçons utilisant une approche active rapportée d’un congrès auquel l’une d’elles avait assisté à la suite de l’insistance de sa directrice (savoir explicite).

2.    En effectuant des recherches sur Internet à un poste dédié à cet effet dans le coin « ressources documentaires » de la salle du personnel, elles ont enrichi le modèle initial de référence (combinaison de savoirs explicites).

3.    Par la suite, elles ont graduellement organisé toutes leurs leçons à partir de ces premières expériences (internalisation du savoir explicite).

4.    Aujourd’hui, elles réalisent de façon spontanée, l’ensemble de leurs leçons avec un minimum de planification (savoir tacite).

5.    Leurs collègues du troisième cycle, en s’inspirant de leur pratique, introduisent elles aussi cette façon d’enseigner les sciences de la nature. La directrice de l’école a accordé des périodes de remplacement pour faciliter ce transfert de connaissances (effort de formalisation du savoir tacite pour le partager).

6.    Plus tard, la directrice a sollicité les deux enseignantes afin de présenter leur façon de faire à un colloque pédagogique. Pour préparer cette présentation, celles-ci discutent avec un conseiller pédagogique. Ce conseiller les aide à formaliser leur pratique qui est maintenant assez différente des modèles initiaux de référence (formalisation du savoir tacite). Aussi, une présentation PowerPoint est créée ainsi qu’un document de référence à l’intention des collègues qui participeront au colloque (savoir explicite).

Ceux-ci, s’ils le souhaitent, pourront utiliser ce modèle de référence afin d’amorcer un nouveau parcours d’apprentissages (nouvelle spirale d’interaction entre le savoir explicite et le savoir tacite).

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Ainsi s’installe une spirale amplificatrice entre les deux types de savoir où le tacite, par le biais des interactions sociales entre les individus, les groupes et même les organisations, devient explicite; à l’inverse, dans les réalisations et les bonifications répétées des actes appris, l’explicite devient tacite. Ainsi, sont créés et enrichis des répertoires de plus en plus intériorisés d’actions et de plus en plus spontanément sollicités.